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L’inflation, notre fausse amie

Texte d’opinion publié le 18 février 2013 sur 24hGold.

Le problème de la dette publique et du manque de compétitivité de certains membres de l’Union européenne (UE) poussent certains (en particulier des économistes « respectables ») à réclamer un peu d’inflation. Une plus grande « flexibilité » de la Banque centrale européenne (BCE) permettrait à l’UE de venir en aide aux producteurs en réduisant les taux d’intérêt et en leur fournissant des liquidités supplémentaires. Les consommateurs bénéficieraient eux aussi d’un coup de pouce inflationniste sur leurs salaires, qui devraient leur permettre de consommer plus. Enfin, l’inflation permettrait également de dévaluer la dette et de rendre de la compétitivité à une Europe en stagnation. Autrement dit, l’inflation serait la solution magique pour relancer l’économie.

Il est intéressant de remarquer que les bienfaits inflationnistes cités ci-dessus sont totalement contradictoires. En fait, ils n’apparaissent que s’ils sont analysés isolément et superficiellement. Or, une fois qu’ils sont mis en contexte les uns avec les autres, on voit que l’inflation est coûteuse pour une économie dans son ensemble.

La baisse du taux d’intérêt est comparable à une baisse de prix concomitante à la surproduction d’un bien dont la demande ne change pas dans la même proportion. Trop de production par rapport à la demande résulte en une baisse du prix, car les agents considèrent que la production supplémentaire est relativement moins intéressante que la production d’autres biens. Il faut le reconnaître. On ne veut pas vraiment de l’argent, mais des biens.

En outre, une baisse artificielle des taux d’intérêt fausse les estimations des producteurs. Les taux d’intérêt avant création monétaire leur donne une valeur réaliste du coût du capital réel. Il s’agit du capital épargné et mis à leur disponibilité par les épargnants dans l’économie. Une baisse par création monétaire (et donc inflationniste) sans rapport avec un effort d’épargne supplémentaire crée l’illusion d’un capital réel moins cher.

Car la baisse des taux d’intérêt liée à une offre supplémentaire de liquidités à l’égard des producteurs conduit ces derniers à lancer de nouveaux projets ou d’investir davantage dans des projets en cours.

Cependant, cette croissance de la production sans le support d’épargnes supplémentaires conduit à une hausse des prix des ressources nécessaires à l’initiation et à l’expansion des projets, car celles-ci sont déjà utilisées ailleurs dans l’économie. Tôt ou tard, les producteurs se rendront compte de la hausse de leurs dépenses et entameront des stratégies de réduction des coûts pour rester compétitifs face à la concurrence domestique et internationale. Par exemple, ils pourraient décider de délocaliser davantage afin de freiner les hausses salariales dues à l’inflation. Des injections supplémentaires de liquidités ne feront qu’aggraver le problème, car les prix continueront à grimper tout en incitant les entreprises à réduire leurs dépenses et tant pis pour le reste de la population.

Voilà pourquoi la baisse par l’inflation des taux d’intérêt n’est rien d’autre qu’une baisse illusoire. Le capital réel reste toujours cher, car il est rare par rapport aux besoins des producteurs et des consommateurs. Il y a trop de liquidités par rapport au capital réel disponible. On veut des biens (e.g. travail, biens de capital, matières premières, biens transformés, etc.), mais pas nécessairement plus de monnaie.

Le coup de pouce inflationniste aux salaires est la conséquence indirecte de l’inflation car les entreprises disposant de liquidités supplémentaires peuvent et même doivent augmenter les salaires afin de conserver leur main d’œuvre – surtout la main d’œuvre impossible à délocaliser. S’il est vrai que cela se traduit par un pouvoir d’achat monétaire plus conséquent pour les salariés, l’inflation des prix se chargera de ronger le pouvoir d’achat réel de ces mêmes salariés. La hausse de la consommation sera en fait la conséquence de cette perte de pouvoir d’achat réel de la monnaie. Pourquoi conserver une monnaie de moins en moins capable d’acheter des biens ? Mieux vaut la dépenser tout de suite au lieu d’épargner… et accélérer le processus inflationniste.

Le regain de compétitivité dû à l’inflation est possible une fois que ce processus inflationniste est bien entamé. Pour exister, la production nationale doit, en effet, être financée par une monnaie trop abondante et dont le pouvoir d’achat diminue. Car dans ce cas, le prix de la production nationale pour les importateurs externes bénéficiant d’une monnaie de meilleure qualité est extrêmement bon marché. Évidemment, les exportateurs se feront payer en monnaie étrangère de plus grande valeur tandis que tous les autres acteurs nationaux devront se contenter d’une monnaie nationale de piètre qualité.

Finalement, la dette publique sera elle-aussi dévaluée puisqu’elle est estimée dans une monnaie nationale de mauvaise qualité et donc peu demandée par rapport à des monnaies plus fiables. Si le taux d’intérêt est fixe, alors l’État se trouve dans une situation où il paie un taux d’intérêt ridicule par rapport au taux d’inflation.

Le prix à payer n’est pas seulement porté par les acheteurs de la dette publique et qui sert généralement de motif à l’inflation dès le départ. Le prix réel à payer par la société comprend tous les éléments décrits ci-dessus : des entrepreneurs qui lancent des projets qui se révèleront impossible à terminer, des salariés qui cherchent à se débarrasser de leur monnaie et trouvent de plus en plus difficile d’épargner, une compétitivité sur le dos de l’ensemble des producteurs nationaux et une dette publique qui ne sera pas payée à sa valeur réelle initiale.

Reste à savoir sir l’inflation peut-être une alternative à la situation actuelle ? En fait, nous verrons dans le prochain article que tel est déjà le cas. L’inflation est là depuis longtemps.

Gabriel A. Giménez-Roche est professeur et responsable du département économie du Groupe ESC Troyes et maître de conférences à Sciences Po Paris. Son domaine de recherche est l’analyse économique de l’entrepreneuriat et son contexte socio-institutionnel. Il est également chercheur associé de l’Institut économique Molinari.

Gabriel A. Giménez-Roche

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