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Exclusivité – Les paradoxes de la « lutte contre les déserts médicaux »

Texte d’opinion publié exclusivement sur le site de l’Institut économique Molinari.

La ministre de la santé Marisol Touraine a dévoilé son « Pacte territoire-santé ». Il reprend les leitmotive des différents gouvernements successifs : assurer « l’égalité d’accès aux soins pour tous les Français » et « lutter contre les déserts médicaux ». Mais à force de les répéter machinalement, les hommes politiques semblent oublier que ce sont leurs propres politiques d’« égalité aux soins » qui ont artificiellement exacerbé les disparités actuelles entre régions. Comment ?

Ces disparités sont paradoxalement le résultat direct des atteintes depuis des décennies – au nom de cette même « égalité » – à la liberté des tarifs pratiqués par les professionnels. C’est aussi au nom de cette même égalité que le gouvernement actuel justifie aussi une autre « lutte », contre les dépassements d’honoraires des médecins, qui a déclenché en en fin d’année la grève des médecins. La ministre ne cesse de marteler que la « santé n’est pas un marché » ?

Or, si la formule a la cote parmi les politiques, elle est néanmoins trompeuse, tant il est incontestable que les services de soins consomment des ressources économiques rares et que, par conséquent, ils n’échappent pas à la logique économique. Le fait pour les pouvoirs publics d’entraver cette dernière est en réalité la cause principale de la persistance des « déserts médicaux » actuels.

Notons d’abord qu’il est normal qu’il y ait certaines disparités : après tout on dispense par exemple plus de soins à certains endroits qu’à d’autres, car la population y est relativement plus âgée et qu’il y a donc besoin d’un nombre plus important de professionnels de santé.

Mais si les disparités sont sans raison valable, la flexibilité des tarifs aurait justement permis de rééquilibrer la répartition des ressources médicales. Des tarifs plus élevés ici que là permettraient non seulement de tenir compte d’innombrables facteurs locaux, non monétaires mais importants pour les professionnels, tels le nombre de kilomètres à parcourir pour soigner les patients, la géographie de la région (montagneuse ou pas), les opportunités pour les conjoints d’y trouver un emploi, etc. De tels tarifs libres auraient également attiré des ressources supplémentaires dans les endroits réellement sous-dotés. Au nom de « l’égalité aux soins », les pouvoirs publics ont ainsi empêché les rééquilibrages de se faire naturellement au sein du système de santé, grâce aux différentes incitations économiques.

Ils sont alors confrontés à un dilemme. Soit ils utilisent la contrainte et la coercition, ce que refusent pour l’instant François Hollande et le gouvernement actuel. Une telle politique qui aurait ainsi mis fin à la liberté d’installation, aurait également sonné le glas de la médecine libérale, telle que nous la connaissons, et qui reste l’un des piliers du système de santé français. C’est elle notamment qui permet aux patients français de ne pas devoir subir des files d’attente pour obtenir les soins. Il s’agit pourtant d’un phénomène généralisé et institutionnalisé dans des pays où la médecine est fortement étatisée comme le Royaume-Uni, le Canada ou la Suède.

Soit les pouvoirs publics peuvent essayer, paradoxalement, d’imiter le « marché » en multipliant les dispositifs d’aides, d’exonérations, etc., en particulier pour les nouveaux médecins installés. Or, un tel tour de passe-passe risque fort d’être inefficace : il revient à casser le « thermomètre » pour essayer de mesurer ensuite la « fièvre » à la main.

Telle est, en partie, le pari proposé par le « Pacte territoire-santé ». La ministre de la santé propose, par exemple, de garantir un salaire minimum de 4600 euros par mois pendant 2 ans pour les médecins qui accepteront l’un des 200 postes de « praticiens territoriaux », prévus pour combler le manque de médecins libéraux dans les « déserts médicaux ». Or, à titre de comparaison, il s’agit d’un montant largement inférieur au revenu moyen d’un médecin généraliste, qui était déjà en 2010, selon l’INSEE, de 71 000 euros.

Il est ainsi fort à parier que les mesures incitatives actuelles – 12 au total – ne permettront pas, comme dans le passé, de mettre fin aux « déserts ». La tentation de recourir à la contrainte et à la suppression de la liberté d’installation des médecins libéraux reviendra donc rapidement dans le débat.

Il sera néanmoins primordial à ce moment-là de continuer à ne pas lui céder. Car si les mesures incitatives ne sont pas efficaces, n’oublions pas que la suppression de la liberté d’installation et de nouvelles entraves à la médecine libérale ne sont guère la solution. Elles déboucheront sur une étatisation encore plus importante de notre système de soins et aggraveront, au lieu de résoudre, les pénuries. Telle est invariablement la leçon des systèmes de santé étatisés anglais, canadien ou suédois.

Valentin Petkantchin est chercheur associé à l’Institut économique Molinari.

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