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Ne pas sous-estimer les risques d’une interdiction du Bisphénol A

Texte d’opinion publié le 16 novembre 2012 dans le journal Le Temps.

Au nom du « principe de précaution » et après le vote du Parlement français l’année dernière, le Sénat a entériné le 9 octobre l’interdiction du Bisphénol A de tous les contenants alimentaires en France. Il n’est pas exclu que le BPA puisse se trouver à terme complètement interdit, si les pressions en ce sens se poursuivent.

Certes, le BPA peut théoriquement présenter des dangers pour la santé et cette interdiction a été précipitée suite à la publication de travaux des autorités sanitaires en France (Anses) allant en ce sens. Cependant, une telle précipitation est-elle réellement justifiée, étant donné que ces travaux ne constituaient qu’une première étape vers une évaluation rigoureuse des risques et qu’il existe encore aujourd’hui un quasi-consensus sur sa non-dangerosité dans les conditions d’utilisation réelle ? L’autorité sanitaire du Canada – le premier pays à avoir interdit le BPA des biberons en 2008 – a encore confirmé récemment son innocuité et l’inutilité d’étendre l’interdiction à d’autres produits.

Si la recherche scientifique se poursuit à cet égard, interdire le BPA à ce stade, revient à ignorer ses nombreux bénéfices, à déstabiliser l’innovation visant à lui trouver des substituts fiables et aussi performants et, in fine, à mettre en danger la santé des consommateurs.

En effet, n’oublions pas, que le BPA est présent dans de nombreux produits dont notre niveau de vie dépend – boîtes et vaisselle micro-ondables, bonbonnes d’eau réutilisables, équipements médicaux, DVD, CD, téléphones portables, appareils photos, ordinateurs, TV, automobiles, etc. Mais il est surtout utilisé depuis plusieurs décennies dans des résines époxy afin de protéger nos aliments et boissons sous la forme de vernis.

Ces vernis recouvrent les cannettes et autres contenants alimentaires en métal, mais aussi les couvercles des bocaux ou les capsules des bouteilles en verre. Ils sont indispensables car ils nous protègent des intoxications alimentaires, liées à des bactéries comme l’E. Coli ou le botulisme, une maladie paralytique grave pouvant causer la mort.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les résines époxydes à base de BPA se sont imposées comme la solution optimale et la norme dans l’industrie – d’un point de vue économique mais aussi technologique – par rapport aux autres types de résines. Contrairement à ces dernières, elles résistent bien à la corrosion ce qui permet d’augmenter la durée de vie des aliments conservés. Elles ont une forte capacité d’adhésion au métal, peuvent servir pour tous les types d’aliments et elles n’altèrent pas le goût des aliments.

Il est illusoire de penser qu’interdire le BPA et obliger les entreprises à utiliser, dans la précipitation, des substituts moins performants serait sans risques. L’interdiction du BPA – prévue pour le 1er janvier 2015 – signifie, en effet, qu’il faudra trouver de tels substituts. Or, leur impact sanitaire et leurs effets sur la santé sont, contrairement au BPA, inconnus lors d’une utilisation à grande échelle et pendant une période prolongée.

Comme le souligne une spécialiste, « le développement d’un nouveau vernis prend généralement 1 à 3 ans, la période de tests dure 2 à 3 ans de plus, et jusqu’à 2 années supplémentaires sont nécessaires pour sa commercialisation ». Au total, il faudrait donc entre 5 et 8 ans pour trouver un vernis qui puisse éventuellement se substituer aux résines époxy dans les conditions de sécurité actuelles. Vouloir à tout prix aller plus vite, risque de se faire au détriment de la qualité et de la durée des tests, et donc au détriment des individus.

Plusieurs exemples montrent déjà, d’ailleurs, que le remplacement du BPA en l’état actuel des connaissances n’est pas sans danger et qu’il ne débouche pas forcément sur une situation plus favorable pour la santé.

Ainsi, les oléorésines, utilisées jusque dans les années 60 avant l’arrivée des résines à base de BPA, pourraient faire leur réapparition. Or, elles adhèrent moins bien au métal, sont moins résistantes à la corrosion et réduisent la durée de vie des produits conservés.

Le cas du Japon offre aussi un bon exemple. En effet, sans interdiction formelle du BPA, les fabricants ont néanmoins décidé de leur propre chef d’utiliser des vernis à base de polyéthylène téréphtalate (PET) au contact avec les boissons dans les canettes. Or, des doutes concernant les matériaux en PET ont également été mis en avant (même si, comme dans le cas du BPA, des rapports officiels soulignent leur innocuité).

Enfin, l’alarmisme autour du BPA a poussé des fabricants à le supprimer du papier thermique (tickets de caisse, étiquettes de produits, reçus bancaires, etc.) et à le remplacer par du Bisphénol S. Là aussi, des interrogations quant aux effets néfastes sur la santé de ce dernier – le BPS étant notamment plus persistant que le BPA dans l’environnement – ont déjà été soulevées, mettant ainsi en doute le bien-fondé d’une telle substitution.

Mais ce n’est pas tout. Car, paradoxalement, une telle politique du « précautionnisme » – ayant justifié l’interdiction sans évaluation scientifique rigoureuse – crée un climat hostile à la R&D et a des effets délétères sur l’innovation à plus long terme. Comment être incité alors à investir en R&D, à tester et à mettre au point de nouveaux produits fiables dans de telles conditions, si le fruit de cette innovation peut se retrouver anéanti en l’absence de données scientifiquement prouvées ?

À l’évidence, utiliser des substituts n’est pas sans risques et la politique « précautionniste » du « risque zéro » – militant pour une interdiction d’une substance dès qu’il existe un risque hypothétique – conduit soit à des situations tout aussi, voire plus dangereuse, soit à la paralysie complète de l’activité économique sur laquelle repose notre niveau de vie. Elle devrait donc être pratiquée par les gouvernements avec beaucoup plus de prudence.

Valentin Petkantchin est chercheur associé à l’Institut économique Molinari.

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