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Halte à la dérive de la lutte anti-tabac : à quand la nationalisation de l’industrie ?

Texte d’opinion publié le 29 mai 2012 dans La Tribune.

Alors que le 31 mai marque la Journée mondiale sans tabac, force est de constater que la lutte contre le tabagisme s’est considérablement durcie. Au-delà d’une fiscalité très lourde, tout un « arsenal » réglementaire vise désormais à « dénormaliser » l’industrie du tabac, en rendant cette dernière non-rentable.

Or, une industrie ainsi « dénormalisée » serait une « proie » facile à la nationalisation, un sujet qui pourrait bien se retrouver dans les débats, si les pouvoirs publics s’obstinent dans cette voie. L’idée d’une nationalisation paraîtra d’ailleurs d’autant moins saugrenue que c’est une vieille tradition en France (la Société d’exploitation industrielle des tabacs et des allumettes ou SEITA n’a été privatisée qu’en 1995).

L’imposition d’un paquet « générique », en vigueur en Australie et ayant fait l’objet de propositions de loi en France, correspond déjà ni plus ni moins à une nationalisation – qui cache son nom – de l’emballage des cigarettes. Avec la disparition du droit d’utiliser un logo, des couleurs, des images, un graphisme, etc., faisant référence à l’existence d’une marque de cigarettes, il n’est plus possible pour les fabricants privés de se différencier, ce qui rendra aussi leur nationalisation à terme plus aisée.

D’autres mesures envisagées pénaliseront directement la rentabilité de l’industrie du tabac comme l’obligation d’une « vente sous le comptoir » ou une taxe sur son chiffre d’affaires, la fiscalité dépassant pourtant déjà les 80% du prix de détail en France.

C’est d’ailleurs dans cette optique d’élimination des profits des fabricants de cigarettes que des militants anti-tabac, notamment au Canada, ont suggéré de nationaliser purement et simplement l’industrie du tabac, en imposant un monopole public plus ou moins étendu. Selon eux, le principal problème – le fait que des gens consomment du tabac – proviendrait des profits réalisés par les compagnies.

Une telle idée repose sur une méconnaissance de la relation entre profit et consommation. Car la causalité entre les deux va en réalité en sens inverse.

C’est la consommation, déterminée par les préférences des consommateurs, qui explique l’existence, ou non, d’opportunités de profit. Qu’il s’agisse du tabac ou de tout autre produit désiré par des individus, ce sont eux les décideurs ultimes en matière de consommation. La seule solution durable pour faire disparaître ces opportunités de profit serait par conséquent qu’ils décident de leur propre chef de changer de mode de vie et d’arrêter de fumer, ce qu’ils ont la possibilité de faire à tout moment, que l’industrie soit publique ou privée.

Ce choix exercé par les consommateurs explique pourquoi la politique de nationalisation serait une impasse. Car si les pouvoirs publics décident d’imposer une diminution artificielle de l’offre de tabac, le marché noir s’y substituera avec son lot d’effets pervers pour la santé des fumeurs et pour les finances publiques. Si au contraire, la lutte anti-tabac se fait moins forte, l’industrie nationalisée aura tout simplement un comportement commercial similaire à celui des fabricants privés de tabac. L’objectif de réduction de la consommation de tabac serait tout aussi compromis.

L’expérience montre que ce 2e cas de figure a largement prévalu dans l’histoire. Par exemple, soulignons que la montée du tabagisme après la 2e guerre mondiale a coïncidé avec l’existence de monopoles d’État dans de nombreux pays. En France, le record absolu des ventes de tabac par adulte, soit 7,1 grammes/jour, a ainsi été atteint en 1975 sous le monopole public de la SEITA.

De même, le marché chinois qui compte 350 millions de fumeurs (soit plus que la population totale des 17 pays de la zone euro) demeure sous contrôle d’un monopole public, la China National Tobacco Corporation (CNTC). Le profit de la CNTC, soit 16 milliards de dollars en 2010, est supérieur à ceux des trois autres plus importantes compagnies privées de tabac réunis (Philip Morris International, British American Tobacco et Altria). Et si en Occident, les politiques risquent de mener à la nationalisation de l’industrie du tabac, un rapport chinois estime que la priorité, au contraire, devrait être de « casser le monopole du tabac » dans leur pays.

Enfin, le marché de l’alcool au Canada fournit une preuve supplémentaire de ce qui se passerait en cas de nationalisation, même quand l’objectif visé est explicitement celui de la santé publique. Le commerce d’alcool a, en effet, été nationalisé dans ce but dans des provinces comme le Québec. Pourtant, l’augmentation de la consommation d’alcool y a été plus importante (+21,7%), entre 1993 et 2011, que dans la province de l’Alberta (+8,3%) où le commerce est pourtant privatisé depuis 1993.

À l’évidence, ce n’est pas parce qu’une industrie est nationalisée que la consommation du bien en question diminue ou y est plus faible qu’ailleurs. Mais ce n’est pas tout.

L’industrie du tabac recouvre un ensemble d’activités diverses et variées où la notion de profits et pertes privés jouent un rôle informationnel et incitatif important, limitant les gaspillages. En leur absence, une industrie nationalisée ne pourra pas être gérée efficacement et représentera un risque opérationnel, d’autant plus important qu’elle se trouve dans un monde concurrentiel.

Le cas de la SEITA – notamment après l’ouverture partielle de son monopole en 1976 – l’illustre bien, avec des pertes de parts de marché de 20% et des déficits atteignant l’équivalent de plus de 220 millions d’euros en 1980. Un tel risque d’exploitation serait indiscutablement malvenu de nos jours alors que les pouvoirs publics affichent leur volonté de stopper le dérapage des finances publiques.

Une nationalisation de l’industrie n’est pas une solution aux problèmes de santé, causés par le tabagisme. Il faut prendre conscience de la dérive dans laquelle nous engage, volontairement ou non, la lutte actuelle anti-tabac, susceptible de mener à terme à une telle nationalisation.

Valentin Petkantchin a publié deux études sur le thème du tabac intitulées Et si on interdisait tout simplement le tabac? et De la dénormalisation à la nationalisation de l’industrie du tabac? Il est chercheur associé à l’Institut économique Molinari.

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