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Pour que la crise débouche sur une expansion durable

Texte d’opinion publié dans l’édition de mars 2012 de L’ENA hors les murs, le magazine mensuel français édité par les anciens élèves de l’École nationale d’administration (ENA).

Quand la crise a éclaté en 2007 aux États-Unis puis en 2008 en Europe, tout le monde espérait que celle-ci serait de courte durée et qu’il suffirait de quelques plans de relance à la mode keynésienne pour faire repartir nos économies, certes en difficulté, mais structurellement saines.

Or, les sommets comme les plans de relance se sont multipliés au cours de dernières années sans que rien n’y fasse : la crise est là et risque même de s’intensifier. Faut-il pour autant céder au pessimisme et à la morosité ? Ce serait dommage. Si cette crise est et sera douloureuse, elle est aussi une formidable occasion de mieux comprendre les maux dont souffrent nos économies. Elle nous aidera peut-être à trouver le courage de réaliser les réformes qui nous permettront de rebondir durablement.

Au départ, la crise actuelle a été analysée comme remettant au goût du jour les thèses keynésiennes, justifiant le recours aux plans de relance. Après 3 ans de relances, budgétaire et monétaire, sans effet durable sur la santé de l’économie, elle incite au contraire à se repencher sur le courant économique autrichien et sa théorie du cycle économique. Cette école offre en effet une explication pertinente de la situation et des solutions capables de nous redonner les moyens de repartir sur des bases saines.

Selon les keynésiens, représentés aujourd’hui par des économistes comme Paul Krugman (prix Nobel d’économie 2008), l’économie est soumise à des changements imprévisibles. La prospérité comme le déclin sont le fruit dans un cas d’un optimisme inexplicable et dans l’autre d’un pessimisme tout aussi arbitraire.

Les récessions font donc partie intégrante des économies de marché. Ainsi, quand la demande pour l’investissement diminue de façon soudaine du fait d’une perte de confiance inexplicable et irrationnelle du monde des affaires (l’esprit animal), cela déclenche une baisse de la production, une hausse du chômage et une chute des revenus des ménages. Ces derniers perdent à leur tour confiance et épargnent plutôt que de dépenser, si bien que les entreprises se retrouvent avec des invendus et diminuent encore leur production. Cela déclenche une véritable spirale déflationniste que seul l’État peut contrer.

En effet, les keynésiens proposent que l’État use de ses plans de relance, budgétaires et monétaires, pour compenser la baisse de la demande privée par la demande publique. Dans leur vision, le taux d’intérêt est un phénomène purement monétaire (résultat de la confrontation de l’offre et de la demande de monnaie). Il doit être maintenu à un niveau bas via la création monétaire, pour susciter un niveau d’investissement élevé et ainsi augmenter le taux de croissance.

Cette politique monétaire se révèle cependant souvent insuffisante pour stimuler la demande car quand les taux sont trop bas, des investisseurs privés peuvent décider de retirer leurs fonds et quand l’incertitude est trop élevée, les individus peuvent préférer épargner leur argent plutôt que de l’investir. Du coup, les dépenses publiques offrent une garantie que les fonds seront effectivement investis quelque part dans l’économie.

Pour l’école d’économie autrichienne, représentée par des économistes comme Ludwig von Mises ou Friedrich A. von Hayek (prix Nobel d’économie 1974), ces politiques monétaires et budgétaires sont incapables d’offrir des solutions à l’apparition de cycles économiques dans la mesure où elles en sont à l’origine.

Ils expliquent, à la différence de Keynes, que le taux d’intérêt est la conséquence d’un phénomène intrinsèquement humain, à savoir la préférence pour le temps des individus. Les gens comme vous et moi préfèrent consommer maintenant un bien plus tôt que plus tard. Cela conduit à la formation d’un taux d’intérêt sur le marché qui récompense l’attente entre la consommation immédiate et la consommation dans le futur (l’épargne). Quand le taux d’intérêt baisse, la préférence pour le présent de la plupart des gens diminue. Si le taux d’intérêt augmente, c’est que les préférences changent et que la préférence pour le présent croît.

Le taux d’intérêt dans une société est donc un indicateur de la quantité d’épargne que les individus sont prêts à mettre à la disposition d’investisseurs qui de ce fait seront en mesure de mener à bien des projets. Quand on manipule à la baisse ce taux par la création de monnaie – comme le proposent les keynésiens –, on laisse penser qu’il existe un stock d’épargne plus important que ça n’est en fait le cas.

Cela va inciter des entrepreneurs à se lancer dans des projets de plus longue durée puisque le taux en vigueur indique – au moins sur le papier – qu’il est maintenant rentable de les lancer. Or, dans la mesure où la préférence pour le présent des individus n’a pas changé, les entrepreneurs vont se retrouver dans l’impossibilité de trouver les ressources nécessaires à leur réalisation complète.

Il va ainsi devenir nécessaire d’enchérir sur le prix des facteurs de production, si bien que la marge de profitabilité des projets va diminuer. Ce renchérissement du prix des matières premières va aussi susciter des besoins de monnaie supplémentaires auprès des banques. Si celles-ci sentent que leur solvabilité est menacée, elles peuvent décider de ne plus octroyer de nouveaux crédits, provoquant ainsi la faillite des entrepreneurs en question. Le renchérissement des prix peut aussi créer des tensions à la hausse du niveau général des prix, incitant les Banques centrales à stopper la création monétaire en remontant leurs taux directeurs, rendant le refinancement des banques commerciales plus difficile.

C’est alors que la bulle éclate et entraîne l’arrêt de nombre de projets, la faillite en cascade d’entreprises et l’augmentation du taux de chômage. Ces phénomènes sont la preuve que de nombreux malinvestissements ont été réalisés et que des ajustements au sein de la structure de production sont nécessaires.

Or depuis les années 1970, à chaque fois que le système s’est essoufflé, les pouvoirs publics ont répondu par une politique budgétaire et monétaire toujours plus accommodante. C’était d’autant plus facile qu’avec la fin du système de change-or (1971) et l’émergence d’un système monétaire basé sur de la monnaie fiduciaire, la création monétaire n’a plus de limites. Cela explique les dérapages de pays, tels la France, incapables d’équilibrer leurs comptes publics depuis 1974.

Si l’on en croit les keynésiens, ces plans de relance n’ont pas été suffisants. Paul Krugman ne cesse de rappeler que la dette et le déficit ne sont pas des problèmes en soi et que seul le niveau d’emploi compte, emploi qu’il faut stimuler par l’injection de liquidités aussi importantes que nécessaire.

Pour les autrichiens, au contraire, ces « injections » sont le poison qui tue à petit feu nos économies et ce n’est pas en ajoutant de nouvelles couches de dépenses qu’on leur permettra de repartir sur des bases saines.

Il faudrait, au contraire, cesser d’empêcher le marché de fonctionner normalement et donc laisser les taux d’intérêt se fixer librement, arrêter de sauver de la faillite ces entreprises et ces banques devenues insolvables et parfois irresponsables.

Si la période de crise est douloureuse, elle n’en est pas moins nécessaire car elle va permettre une réallocation des ressources de production, rendue d’autant plus facile à réaliser que sous l’impact de nombreuses faillites et de la fin des crédits artificiels, les prix chutent. La baisse des prix va permettre le rachat des ressources productives par des entrepreneurs qui les utiliseront dans des processus de production plus courts et plus rentables. Progressivement, les affaires reprennent sur des bases plus saines car plus conformes à ce que les gens souhaitent en priorité.

Si cette crise est l’occasion pour un certain nombre de comprendre que nous ne vivons pas dans des sociétés capitalistes à tout crin mais au contraire, dans des systèmes où les politiques monétaires et réglementaires n’ont sans doute jamais été aussi lourdes, alors il y a de vraies raisons d’être optimiste. Car en comprenant les raisons de la récession, il sera alors possible de parler des solutions nécessaires pour rebondir et reconstruire le dynamisme et la compétitivité de la France.

Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari.

Cécile Philippe

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