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Comment les banques centrales font-elles faillite ? (Partie II)

Texte d’opinion publié sur 24hGold le 16 avril 2012.

Nous avons expliqué dans un précédent article qu’une banque centrale productrice de monnaie-papier à cours légal est exempte de la sanction économique qu’est la faillite. Mais nous y avons également évoqué la possibilité d’une insolvabilité au sens comptable. Ce deuxième article développe davantage ce dernier point.

L’insolvabilité comptable dont il est question ici consiste en une érosion de la valeur des actifs détenus par une banque centrale au-delà du montant de ses capitaux propres. C’est une situation plausible de nos jours en ce qui concerne certaines banques centrales de la zone euro, notamment celles de la périphérie (Grèce, Portugal, Irlande, voire même Italie et Espagne).

Cette érosion de la valeur des actifs de la Banque centrale peut être due à un ensemble de facteurs. D’une part, les banques commerciales qui ont bénéficié d’un refinancement par le prêteur un dernier ressort pourraient se retrouver insolvables et donc incapables de rembourser ces actifs qui dès lors pourraient perdre tout ou partie de leur valeur. Dans ce cas de figure, et du fait même de leur insolvabilité, un n-ième refinancement leur serait refusé, et la banque centrale récupérerait, en tout et pour tout, la valeur de la garantie donnée par la banque commerciale. Seulement, la valeur marchande du titre financier qui a garanti ce prêt pourrait elle-même se trouver fort dépréciée, de sorte que des pertes comptables apparaîtraient au bilan de la banque centrale.

Un deuxième facteur, dont la puissance a été temporairement atténuée par les deux opérations de refinancement de très long terme, est la dépréciation des actifs marchands, c’est-à-dire les obligations d’État et privées en euros ou en devises étrangères, que la banque centrale détient directement. En principe, des provisions pour dépréciation doivent être constituées régulièrement, et il n’est pas exclu que la valeur cumulée de ces provisions dépasse le capital propre de la banque centrale.

Somme toute, en refinançant les agents économiques (banques, États, entreprises d’assurance, etc.), et donc en créant de la monnaie, les banques centrales acquièrent des actifs sur ceux-là et s’exposent au risque de dépréciation de ces actifs. La source concrète de ce risque importe peu et varie selon le cas historique particulier (risque de crédit, de taux ou de change). Ce qui importe, c’est que le capital d’une banque centrale peut se révéler insuffisant pour parier des pertes comptables sur la valeur de ses actifs.

Ce qu’il nous faut analyser maintenant, c’est précisément cela. Dans quelle mesure une telle éventualité, si elle arrivait à se produire dans un pays de la zone euro ou ailleurs, aurait-elle une incidence réelle quelconque?

Nous soutenons qu’une telle insolvabilité comptable d’une banque centrale serait sans incidence sur la banque centrale elle-même, mais qu’elle importerait énormément du point de vue de la société.

La considération majeure qu’il faut rappeler, et qui reste bien trop ignorée dans les débats, est qu’une banque centrale n’a pas à réaliser ses actifs pour rembourser ses passifs. Ceci implique deux choses.

Primo, la notion de valeur marchande perd tout son sens pour un actif détenu par une banque centrale. En effet, si elle n’a pas à vendre ses actifs pour rembourser ses passifs, en quoi une banque centrale serait-elle concernée par la valeur marchande de ses actifs? Quelle que soit leur valeur, elle est de fait toujours satisfaisante pour qui n’en a pas besoin, et tel est bien le cas d’une banque centrale.

Secundo, une banque centrale n’a pas à rembourser ses passifs. Lorsqu’un individu lui présente des billets pour remboursement, ou lorsqu’une banque commerciale désire retirer ses fonds, les paiements s’effectuent toujours dans cette même monnaie dont on demande le remboursement. La monnaie-papier inconvertible a précisément cela d’extraordinaire que son émetteur ne peut jamais se retrouver dans la difficulté de la rembourser, car tout simplement elle ne se rembourse en rien d’autre qu’elle-même.

Il s’ensuit que l’insolvabilité comptable, bien que plausible et peut-être bientôt réelle en zone euro, n’implique pas en soi une faillite économique de la banque centrale. Pour celle-ci, elle reste un problème comptable qui peut être résolu par des subterfuges également comptables. Par exemple, et non sans tort comme nous venons de le voir, une banque centrale peut suspendre l’évaluation de ses actifs selon leur valeur de marché. Elle pourrait y substituer la notion plus ou moins arbitraire, et donc plus ou moins accommodante, de valeur économique de long-terme. Elle pourrait aussi chercher une dérogation à la règle d’opérer avec des capitaux propres positifs. Enfin, des schémas de recapitalisation pourraient être mis en place, selon lesquelles la banque centrale échangerait ses propres actions contre des titres de dette.

Seulement, si le trou comptable peut être facilement rebouché, il n’est pas vrai qu’il n’a aucun impact économique sur la société. L’origine de ce trou, si jamais il est révélé, tient à ce que la banque centrale a déjà distribué des cadeaux sous la forme d’achats d’actifs au-delà de ce que des acheteurs potentiels auraient payé sur un marché non entravé. Comme ces cadeaux ont déjà impliqué une hausse de la masse monétaire, ils sont de fait payés par les détenteurs d’encaisses monétaires dont le pouvoir d’achat, c’est-à-dire le nombre et la qualité de biens et services qu’elles peuvent acheter, diminue.

L’érosion comptable des capitaux propres d’une banque centrale est donc supportée économiquement par les utilisateurs mêmes de la monnaie. C’est le degré de compréhension de ce fait et son acceptation ou non par la population qui déterminent la longévité d’une banque centrale. Ce dernier point sera développé dans un troisième et dernier article sur ce sujet.

Siméon Brutskus a vécu sa jeunesse à l’Est, avant de parfaire son éducation économique en France. Sa carrière d’enseignant-chercheur l’a conduit à s’intéresser à la théorie et politique monétaires, et au rôle qu’occupent les banques centrales dans la déstabilisation des systèmes financiers.

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