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Comment les banques centrales font-elles faillite? (Partie I)

Texte d’opinion publié sur 24hGold le 29 mars 2012.

La faillite désigne communément la dissolution d’une entreprise qui s’est retrouvée dans l’incapacité de payer ses fournisseurs ou, plus généralement, d’honorer ses engagements financiers. En matière de faillite, deux problèmes distincts, quoique liés, sont à distinguer : l’insolvabilité et l’illiquidité.

Une entreprise est insolvable lorsque la valeur de ses actifs (investissements en tout genre) est inférieure à la valeur de ses passifs (dettes et autres engagements à payer). Autrement dit, les propriétaires de l’entreprise ont réduit la valeur de leurs investissements et ne pourront rembourser les dettes contractées par l’entreprise qu’en y apportant des fonds propres supplémentaires. Si un changement de gestion, i.e. un autre mode d’association des actifs, ne paraît pas à même de redresser la valeur de ceux-ci, il est préférable de dissoudre l’entreprise. Les actifs sont alors revendus aux meilleurs offrants tandis que les dettes sont remboursées totalement ou en partie.

Une entreprise est illiquide lorsque la valeur de ses actifs de court terme (sa trésorerie) est inférieure au montant de ses échéances immédiates. Le défaut de paiement qui s’ensuit résulte d’un déséquilibre entre les flux sortants et entrants de trésorerie; ou, ce qui revient au même, trop d’actifs de long terme font face à trop de passifs de court terme. Si l’entreprise reste capable de générer de la valeur à moyen et à long terme, elle trouvera des créanciers auprès de qui se refinancer dans l’immédiat. Ce refinancement deviendra trop cher, et donc économiquement non rentable, si les créanciers pensent que l’entreprise n’est pas viable à long terme.

Voilà donc que les deux problèmes d’illiquidité et d’insolvabilité sont intimement liés. Une situation d’illiquidité définitive résulte du refus d’investisseurs potentiels de miser leurs fonds car ils anticipent une insolvabilité proche. Le défaut de paiement est alors un signe avant-coureur qu’il faut précipiter la dissolution de l’entreprise afin d’éviter des pertes futures. La faillite apparaît alors comme salutaire car, en désintégrant l’entreprise, elle permet d’éviter des pertes plus importantes encore. Elle se révèle posséder une fonction économique bien définie : minimiser les pertes liées aux mauvais investissements, en assurant le transfert des actifs concernés vers des entrepreneurs mieux avisés.

Il résulte de tout cela que la faillite, en tant que phénomène économique, ne peut se produire que si un ensemble de conditions sont réunies.

Primo, le calcul économique doit être possible. Cela signifie que les facteurs de production sont soumis au régime de la propriété privée, et non pas à celui de la propriété collective, et qu’un intermédiaire des échanges, c’est-à-dire une monnaie, est utilisé dans l’économie. Seules ces deux conditions permettent d’établir et de comparer des prix monétaires pour les différents actifs et passifs et de donner un sens aux notions de perte et de gain.

Secundo, le gouvernement ne doit accorder aucun privilège légal qui aurait pour résultat d’abriter l’entreprise du verdict impartial du gain et de la perte monétaires.

Force est de reconnaître qu’aucune de ces deux conditions n’est réunie en ce qui concerne l’activité des banques centrales.

Il est vrai que les banques centrales opèrent le plus souvent dans un monde monétaire de propriété privée. Néanmoins, leur propre fonctionnement n’est pas soumis aux contraintes qu’impose la propriété privée. Le processus de production de la monnaie-papier à cours légal ne nécessite pas la levée de fonds propres ou empruntés qui seuls permettraient d’acquérir des facteurs de production dont l’association aboutirait, de manière plus ou moins longue et pénible, à la production de billets d’euros ou de dollars. Tout se passe à rebours.

La production de la monnaie-papier est totalement indépendante des propriétaires des facteurs de production et se fait par le biais d’émissions de monnaie qui ne coûtent rien. Une fois émise, la monnaie est introduite dans le circuit économique par un échange contre actifs financiers.

Voilà ce qui explique la coutume de représenter les activités des banques centrales par un bilan. Seulement, ce bilan n’est pas de même nature que le bilan d’une entreprise soumise à la discipline du marché. Pour une banque centrale, son « bilan » indique le montant de monnaie émise et le type d’actifs financiers qui ont été achetés en premier avec cette monnaie. Il ne s’agit en aucun cas d’une appréciation marchande de la valeur de l’activité économique conduite par la banque centrale.

En outre, et dans la mesure où une banque centrale aurait contracté des dettes ou aurait fait des promesses de remboursement dans la monnaie qu’elle-même émet, aucun problème d’illiquidité ne pourrait jamais survenir. Le remboursement de ses dettes et engagements n’est pas conditionné par sa capacité de générer un flux entrant de trésorerie grâce à un emploi judicieux de ses actifs. La banque centrale peut toujours rembourser ses propres dettes, voire même celles de parfaits inconnus, par simple émission de monnaie nouvelle. Il s’agit là d’une conséquence du privilège de cours légal accordé à la monnaie-papier produite par une banque centrale.

Par conséquent, et d’un point de vue économique, une banque centrale ne peut pas faire faillite. En revanche, d’un point de vue strictement comptable, une banque centrale pourrait se retrouver insolvable. Nous examinerons cette situation et ses implications dans un second article.

Siméon Brutskus a vécu sa jeunesse à l’Est, avant de parfaire son éducation économique en France. Sa carrière d’enseignant-chercheur l’a conduit à s’intéresser à la théorie et politique monétaires, et au rôle qu’occupent les banques centrales dans la déstabilisation des systèmes financiers.

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