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Quand le corporatisme se défausse sur le capitalisme

Traduction d’un article publié le 31 janvier 2012 sur Project Syndicate.

Une fois de plus, l’avenir du capitalisme fait débat. Survivra-t-il, sous sa forme actuelle, à la crise que nous traversons? Si sa transformation est inévitable, sera-t-elle endogène ou orchestrée par l’État?

Il fut un temps où le terme « capitalisme » désignait un système économique dans lequel les capitaux étaient possédés et échangés par des acteurs privés. Il revenait aux détenteurs de capital d’en faire le meilleur usage possible. À cet effet, ils pouvaient s’en remettre au flair des entrepreneurs, à la créativité d’esprits innovants. Ce système, fondé sur la liberté et la responsabilité individuelle laissait peu de marge de manoeuvre aux États dans le domaine économique. Le succès d’une entreprise se traduisait par des profits, son échec par des pertes. Les entreprises privées subsistaient aussi longtemps que des individus libres voulaient de leurs produits. Faute de cela, elles faisaient rapidement faillite.

C’est au début du XIXe siècle, alors qu’il se dotait de puissantes capacités d’innovation, que le capitalisme s’imposa comme le système économique le plus performant. Les sociétés humaines l’ayant adopté accédèrent à une prospérité sans précédent, à un haut degré de satisfaction au travail et à une croissance de la productivité qui suscita l’émerveillement du monde entier. La pauvreté de masse y disparut.

Aujourd’hui, le système capitaliste a été corrompu. L’État gestionnaire se charge de tout et décide de tout : du revenu des classes moyennes jusqu’aux bénéfices des grandes entreprises, en passant par la « politique industrielle »… Néanmoins, l’actuel système ne répond pas à la définition du capitalisme, mais relève d’un ordre économique différent, inspiré de Bismarck, à la fin du XIXe siècle, ou de Mussolini au XXe siècle : le corporatisme.

De bien des façons, le corporatisme brise la dynamique qui rend le travail attrayant, dope la croissance, ouvre à chacun de multiples possibles. Il entretient des firmes léthargiques, gaspilleuses, improductives, bien introduites dans les cercles du pouvoir, aux dépens d’outsiders et de nouveaux arrivants plus dynamiques. Il privilégie de grands objectifs d’« industrialisation », de « développement économique » ou de « rayonnement du pays » au détriment de la liberté et de la responsabilité des agents économiques.

Ce que nous coûte le corporatisme, nous le constatons chaque jour : entreprises zombies manifestement incapables de répondre aux attentes des clients, économies sclérosées dont la production s’essouffle, pénurie d’emplois motivants, difficultés d’insertion pour les jeunes, États ruinés par les efforts déployés pour pallier ces problèmes, et concentration croissante de la richesse dans les mains de ceux qui ont suffisamment de relations pour manger à la table des gagnants du système corporatiste.

Cet effacement du pouvoir des propriétaires et des innovateurs au profit de celui des politiques et des fonctionnaires constitue l’antithèse du capitalisme. Pourtant, devant l’échec patent de ce système, ses défenseurs et ses bénéficiaires ont le toupet de pointer du doigt « les excès du capitalisme » et « la dérégulation ». Fort logiquement, ils réclament donc un renforcement de la réglementation et du contrôle de l’État, soit en réalité davantage de corporatisme et de favoritisme d’État.

Un système aussi désastreux a peu de chances de durer. Le modèle corporatiste est déconcertant pour les jeunes générations habituées à évoluer dans le marché des biens et des idées le plus libre du monde : Internet. La réussite et la faillite des entreprises du net sont la plus belle illustration des bienfaits du libre échange : les réseaux sociaux du net, pour ne prendre qu’eux, naissent et meurent de façon quasi-instantanée, en fonction de la qualité du service rendu à l’usager.

Des sites tels que Friendster et MySpace ont cherché à faire du profit en sacrifiant la confidentialité des données personnelles des usagers. Leur apportant une sanction immédiate, ces derniers les ont désertés pour rejoindre Facebook et Twitter, concurrents relativement plus sûrs. Aucune réglementation étatique n’a été nécessaire pour mener à bien cette transition. D’ailleurs, si nos États corporatistes modernes s’en étaient mêlés, ils seraient, à l’heure qu’il est, occupés à sauver MySpace avec l’argent du contribuable, tout en faisant campagne sur l’indispensable réforme de ses paramètres de confidentialité.

Internet, foire aux idées caractérisée par une grande liberté, a fait beaucoup de tort au corporatisme. Ceux qui ont grandi dans cet espace décentralisé, lieu d’une libre concurrence des idées, doivent trouver étrange l’idée que l’État soutienne des industries ou des grandes entreprises. Le vieux slogan selon lequel « ce qui est bon pour l’entreprise X est bon pour le pays » continue à fleurir dans les médias traditionnels, mais on l’imagine mal faire le buzz sur Twitter.

Plus la santé financière des États corporatistes est déclinante, plus le corporatisme lui-même voit sa légitimité s’effriter. Si les politiques ne récusent pas le corporatisme, celui-ci s’effondrera tout seul sous le poids de la dette et des faillites, et le capitalisme pourra alors renaître sur les cendres de l’ancien système discrédité. Le mot de capitalisme retrouverait alors son vrai sens, loin de celui dont l’affublent les corporatistes, qui se cachent derrière ce faux-nez, et les socialistes, qui veulent nuire à sa réputation.

Saifedean Ammous enseigne l’économie à la Lebanese American University et est membre invité du Center for Capitalism and Society de l’Université de Columbia. Edmund Phelps, lauréat du prix Nobel d’économie en 2006, est directeur du centre.

L’Institut économique Molinari

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