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L’indignation indigente

Texte d’opinion publié le 22 novembre 2011 sur 24hGold.

Suivant les exemples espagnol et américain, des « indignés » français se sont récemment rassemblés sur le parvis de la Défense pour protester contre l’exploitation du peuple par une minorité de spéculateurs – ou quelque chose dans ce genre. Si le mouvement est peu suivi, ses militants ont néanmoins l’intelligence d’exploiter des thèmes récurrents dans le débat politique français, comme l’opportunité d’un retour à la souveraineté monétaire et l’indispensable humanisation d’une économie « devenue folle ».

La souveraineté monétaire

Le thème du retour à la souveraineté monétaire s’appuie sur deux idées-forces. La première est que le diktat des banques a remplacé la volonté des États, qui ne s’endettent que pour enrichir les prêteurs sur le dos des peuples.

En France, le symbole de cette capitulation face au « grand Capital » est la loi du 3 janvier 1973 excluant la possibilité, pour la Banque de France, de prêter au Trésor Public à un taux d’intérêt dérisoire, voire nul, en tout cas inférieur aux taux du marché. Beaucoup sont persuadés que l’État français ne serait pas aussi endetté s’il n’était contraint d’emprunter aux banques privées pour financer son déficit, et que le modèle social français n’ayant pas de prix, l’argent utilisé pour le faire fonctionner ne devrait pas en avoir. On ne saurait plus explicitement reconnaître l’inflation comme une source de financement ordinaire pour l’État.

La deuxième idée-force est que l’adoption de l’euro a été une catastrophe et qu’en y consentant, la France s’est convertie à ce qu’il est devenu banal d’appeler l’« ultralibéralisme ». Mais curieusement les détracteurs de la monnaie unique sont aussi les premiers à dénigrer la théorie non moins « ultralibérale » du free banking, pourtant hostile à la monnaie unique. La logique élémentaire est-elle, elle aussi, « ultralibérale »?

L’humanisation de l’économie

Au thème de la souveraineté monétaire s’adjoint celui, tout aussi récurrent, de la place de l’humain dans l’économie. Là encore, les indignés de la Défense ne sont pas les seuls à vouloir « humaniser » le capitalisme : reprocher au marché son mépris des individus qui le font vivre est devenu, pour ainsi dire, le Pater Noster de tous ceux qui ont le sentiment que la conjoncture économique ne répond pas à leurs attentes.

Sauf que le marché n’est ni plus ni moins que l’agrégat d’une multitude de choix particuliers. Comme la langue d’un peuple ou la culture d’une communauté, ce que nous appelons le marché n’est l’œuvre de personne en particulier mais de tout le monde en général. C’est ce qui le rend impersonnel, sans l’ombre d’un doute, mais certainement pas inhumain – pas plus que ne sont inhumaines les courbes de la démographie ou l’apparition d’un néologisme.

Les indignés se méprennent sur leurs propres intentions, ils ne veulent pas « humaniser » l’économie. Ce qu’ils veulent, c’est imposer à l’ensemble des acteurs économiques une série de préférences particulières…. sur lesquelles ils seraient évidemment incapables de s’entendre s’ils prenaient la peine d’en discuter sérieusement, et non plus seulement dans les grandes lignes. En résumé, la dénonciation du caractère inhumain du marché trahit avant tout la difficulté qu’a l’individu à admettre qu’il n’est pas le centre du monde et qu’il est donc normal, dans ces conditions, d’obéir à des règles que l’on a pas fixées soi-même et de tolérer les préférences d’autres personnes. Le « vivre ensemble » serait-il déjà passé de mode ?

Les médias ont raison de souligner la faiblesse numérique des indignés de la Défense : ils ne devraient pas sous-estimer, en revanche, la force symbolique de ce mouvement, qui exploite l’impatience et le mécontentement de nombreux Français. Les arguments invoqués manquent de sérieux, mais la classe politique ne demande qu’à y remédier. Ce qui, au commencement d’une campagne électorale fortement axée sur les questions économiques, risque bien de se traduire par de nouvelles propositions dangereusement démagogiques.

Nils Sinkiewicz est originaire du sud-est de la France. Il est titulaire d’un Master en Hautes Études Internationales. Il a écrit pour diverses revues, notamment pour le Cri du Contribuable.

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