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Taxe soda au pays du foie gras

Texte d’opinion publié le 26 octobre 2011 dans Le Temps.

Moins d’un an après le sacre du «repas gastronomique des Français» classé au patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco, la France vient de voter sa première taxe nutritionnelle. Bien sûr, elle ne vise pas dans sa première mouture les produits du terroir français comme le foie gras ou le cassoulet. Elle crée cependant un dangereux précédent et, face au dérapage des finances publiques, la tentation est déjà irrésistible de l’étendre à toutes sortes de produits jugés trop caloriques, trop salés, énergisants, etc. La French cuisine, connue dans le monde entier, pourrait bel et bien être victime de cette crise de la dette qui secoue la zone euro.

Pour faire passer la pilule de cette nouvelle fiscalité, la taxe s’attaque en priorité aux boissons à sucres ajoutés dont les principaux producteurs sont américains. Reste que les producteurs français n’auront probablement pas à attendre longtemps avant d’être, à leur tour taxés, sous prétexte, selon l’humeur du moment, de réduire l’obésité en France, assainir les finances publiques ou aider, par exemple, tel ou tel secteur économique.

L’expérience montre pourtant que la fiscalité comportementale est loin d’afficher des résultats positifs en matière de baisse de l’obésité.

La taxe soda n’a en effet rien de neuf. Elle existe aux États-Unis depuis au moins 1920 où plus des deux tiers des États américains continuent d’imposer de telles taxes. Pourtant, elle n’a en aucun cas évité à ce pays de détenir un triste record en matière d’obésité et de surpoids. C’est le pays où les personnes qui en souffrent sont proportionnellement les plus nombreuses au monde, représentant selon l’OCDE 34,3% de la population adulte en 2007, soit plus d’une personne sur trois.

L’expérience américaine confirme ce que le raisonnement économique peut nous enseigner. La taxe n’a permis d’atteindre que des résultats négligeables en matière de surpoids et d’obésité.

Ainsi, des experts américains concluent à partir de données sur près de 20 ans (entre 1988-1989 et 2006) que la taxe sodas débouche sur des résultats négligeables dans le cas des adultes. Une augmentation d’un point de pourcentage de la taxe sodas correspond à une baisse de l’indice de masse corporelle (IMC) de seulement 0,003. Dans le cas des enfants et des adolescents, les résultats sont même nuls car les jeunes se mettraient à consommer des boissons plus caloriques et moins chères.

De même, une étude de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) constate que «[l]es résultats empiriques de la littérature ne plaident pas, pour le moment, en faveur de mesures de taxation nutritionnelle, si l’objectif de ces politiques est de changer rapidement les comportements et l’état de santé de la population», les effets à long terme étant jugés, quant à eux, «méconnus».

Pourquoi? Parce que la taxe confond la cause et la conséquence du problème. La cause profonde du problème du surpoids est liée aux comportements des gens et non à la consommation de certains aliments considérés comme trop gras ou trop sucrés. La perte de poids est une décision individuelle.

Certes, taxer les boissons à sucres ajoutés peut conduire à une baisse de leur consommation. Mais en l’absence de décision consciente du consommateur, celui-ci pourra se reporter sur d’autres boissons tout aussi caloriques voire plus caloriques. Même une taxe aussi élevée que 18%, comme cela a pu être suggéré aux États-Unis, n’aurait pas, selon les spécialistes de la question aux États-Unis, «un effet substantiel sur le poids de la population».

Qu’en est-il de la capacité de la taxe à compenser au moins en partie le dérapage des finances publiques en France? Là encore, il est permis d’être sceptique. En effet, les recettes anticipées de la taxe ne représenteraient qu’environ 0,2% de l’ensemble des déficits publics et 0,015% de la dette cette année. Autant dire qu’elle n’est qu’une goutte dans l’océan des déficits publics.

Pourquoi les pouvoirs publics français sont-ils néanmoins allés de l’avant avec ce projet de taxe sur les sodas? La réponse est qu’une fois acquise l’idée d’une taxe sur les comportements alimentaires des individus au nom de la «santé publique», son niveau sera progressivement augmenté (son montant a déjà doublé par rapport au projet initial du gouvernement) puis étendu à toutes sortes d’aliments: dernière victime en date: les boissons avec édulcorant et il a déjà été question de l’appliquer aux boissons énergisantes.

Autre nouveauté de la loi: allouer la moitié des recettes au secteur agricole. N’est-il pas paradoxal de nuire à une industrie qui «marche» dans le but de combler les difficultés d’une autre et espérer ce faisant faire rentrer davantage de recettes fiscales à plus long terme? Les avantages risquent de n’être que passagers alors que les consommateurs, l’industrie alimentaire et in fine les finances publiques en seront les grands perdants.

Une fiscalité nutritionnelle étendue finira par pénaliser à terme l’industrie alimentaire, un des fleurons de l’industrie française avec des exportations dépassant les 36,5 milliards d’euros en 2010.

De nouvelles taxes risquent non seulement de limiter les rentrées fiscales futures mais aussi de ralentir le retour à la croissance en France où le fardeau fiscal est particulièrement lourd. Une étude révèle que le salarié français moyen travaille déjà jusqu’au 26 juillet pour s’acquitter de ses obligations fiscales et financer les dépenses publiques. Et en dépit de ce fardeau, les déficits continuent d’augmenter. Il serait donc temps de changer de credo et de cesser de croire que la solution au dérapage des finances publiques réside dans la création d’une énième taxe.

La taxe soda marque un précédent fâcheux. En cédant aux sirènes de ses effets à court terme, le gouvernement actuel pourrait être amené à taxer un jour ce qui fait la fierté des Français: vins, nonnettes, calissons, nougats, etc. L’État français n’a rien à gagner à saper ainsi les capacités productives de l’économie qui restent le meilleur allié pour renouer avec la croissance!

Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari. Valentin Petkantchin y est chercheur associé.

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