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Manger bio ne devrait pas être un acte politique!

Texte d’opinion publié le 25 mai dans Le Temps.

L’intérêt du bio ne vient pas de son opposition à des aliments issus de l’agriculture dite conventionnelle, mais de ce qu’il complète une offre alimentaire standardisée.

En allant au biocoop près de chez moi afin d’y acheter des petits pots pour bébé, je ne peux pas me départir d’un sentiment de malaise en lisant sur les murs du magasin toutes sortes de slogans en faveur des produits bio. Ainsi, en achetant bio, je suis supposée défendre une agriculture plus respectueuse de l’environnement, une alimentation plus saine pour mon enfant, des revenus plus décents pour les agriculteurs. Or, je ne me reconnais absolument pas dans cet activisme politique dont les fondements se révèlent souvent inexacts. L’intérêt du bio ne vient pas de son opposition à des aliments issus de l’agriculture dite conventionnelle, mais de ce qu’il complète une offre alimentaire standardisée.

Ainsi, si j’achète des petits pots bio, c’est tout simplement que je n’en trouve pas d’équivalent ailleurs. Quand on a le souci d’éduquer son enfant aux goûts, le bio répond présent en offrant toute une palette de petits pots aux fruits et aux légumes à goût unique. Seules quelques marques permettent à bébé de découvrir le goût unique du panais, de la carotte, des épinards, de la pomme, de la poire, etc. Sans parler des excellentes céréales bio dont nous tairons le nom et qui font le plaisir des parents! Les aliments bio répondent ainsi à des demandes comme les miennes qui restent sinon insatisfaites.

L’agriculture biologique a aussi remis au goût du jour des «saveurs perdues» comme celles des topinambours, des vitelottes, des rutabagas, des choux romanescos, panais et autres choux-raves. L’originalité des produits est un atout majeur du bio.

Comme l’écrit Gil Rivière-Wekstein dans son livre passionnant sur le bio, «certains produits de l’agriculture biologique présentent une qualité gustative sans commune mesure avec les aliments standardisés. Cette exigence de qualité justifie d’ailleurs à elle seule l’existence d’une filière bio, qui mérite sa place aux côtés de filières proposant des produits bénéficiant de labels (comme le Label Rouge), d’appellations d’origine contrôlée (AOC) ou d’indications géographiques protégées (IGP). Toutes ces filières sont nées de la passion d’agriculteurs qui ont opté pour un mode de culture fidèle aux traditions de leur région.»[[Rivière-Wekstein, Gil, Bio: fausses promesses et vrai marketing, Le Publieur, 2011.]]

L’agriculture biologique semble donc répondre à la palette gustative des fins gourmets et, en tant que production de qualité, elle a sa place dans l’éventail des productions agricoles. Le problème vient de ce que nombreux sont ceux à vouloir remplacer l’agriculture dite «intensive» par le bio au nom d’une supériorité nutritionnelle et environnementale qui est loin d’avoir été démontrée.

Or, Gil Rivière-Wekstein rappelle l’investigation de l’association de consommateurs UFC-Que Choisir titrant «Produits bio, beaucoup trop chers». De même, un article dans le journal Libération conclut en janvier 2010: «Il n’y a pas à tortiller: le bio est hors de prix.» Selon les évaluations, le surcoût pourrait aller de 30 à 72%. Le bio n’est tout simplement pas accessible à tous.

Tout en étant onéreux, le bio n’est pas forcément supérieur sur le plan nutritionnel. De nombreuses études scientifiques publiées dans des revues prestigieuses (American Journal of Clinical Nutrition, Cahier de nutrition et de diététique) ou réalisées par des universités ou organismes publics (Stanford, Afssa) concluent que «les faibles différences observées entre aliments Agriculture biologique et Agriculture conventionnelle n’ont aucune répercussion significative sur la nutrition et la santé». L’Association française des diététiciens nutritionnistes (AFDN) rappelle quant à elle dans un communiqué de presse de 2009 que «les bénéfices santé d’une alimentation bio ne sont pas scientifiquement démontrés».[[AFDN, «Manger bi..o, manger bi..en?», février 2009.]]

Concernant la teneur en pesticides des aliments de l’agriculture intensive, et en dépit des propos alarmistes à leur sujet de certains médecins comme le cancérologue Dominique Belpomme ou le nutritionniste Laurent Chevalier, les produits bio n’en sont pas exempts et cela ne présente a priori pas de danger car les risques d’intoxication semblent en fait très faibles.

En effet, il n’a jamais été aisé de se passer des pesticides et l’agriculteur bio en utilise lui aussi. Comme aime à le rappeler l’auteur de Bio: fausses promesses, les multinationales de la chimie proposent à la filière AB non moins d’une centaine de spécialités chimiques.

Pour combattre les infestations de tavelure, d’oïdium ou de mildiou, des maladies capables de réduire à néant toute une culture, les producteurs de bio recourent à des produits comme la bouillie sulfo-calcique et les produits à base de Neem dont certains ont pourtant été interdits.

L’usage du cuivre à raison de plusieurs kilos par hectare est aussi monnaie courante dans le bio. Or, la viticulture bio peut nécessiter davantage de traitements que la viticulture intégrée, selon une étude de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) publiée en 2010. Remy Chaussod, chercheur au sein de cet institut, précise que «le cuivre s’accumule dans le sol». Il peut diminuer radicalement la biomasse microbienne.

Il semble donc erroné de vouloir opposer agriculture bio et agriculture conventionnelle sur de telles bases. Dans un pays fortement agricole comme la France où l’alimentation provient à 90% de l’agriculture intensive, l’espérance de vie n’a pas cessé d’augmenter pour atteindre 77,5 ans pour les hommes et 84,4 ans pour les femmes.

Consommer bio ne devrait donc pas être un acte politique ou la démonstration de son souhait de changer de société, de modèle ou de système. Il existe bien d’autres moyens de se révolter contre une société qui, par ailleurs, présente bien des défauts. Reste qu’il serait stupide de bouder son plaisir et de renoncer à manger bio quand la qualité est là!

Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari.

Cécile Philippe

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