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Crise – C’est le marché qui est faussé!

Article publié dans L’Écho le 9 avril 2009.

À chaque nouvelle crise, les détracteurs de l’économie de marché en profitent pour sortir les vieux clichés anticapitalistes du placard. Pour eux, les crises économiques sont une caractéristique intrinsèque de l’économie de marché et impossible à éviter.

Néanmoins, pourquoi le simple acte d’échanger volontairement des biens et services entre personnes, qui constitue l’essence même de l’économie de marché, devrait-il provoquer des crises ? Pourquoi la production d’une chose en vue de son échange avec une autre en se servant de la monnaie comme intermédiaire serait-elle à l’origine du manque de liquidité des banques ? Le marché repose sur l’échange volontaire des richesses produites destiné à obtenir d’autres richesses produites, et il n’y a rien là qui pourrait provoquer une crise de liquidité suivie d’une crise généralisée dans l’économie. Si l’on envisage l’essence du marché dans la perspective de la crise actuelle, on se rend vite compte que quelque chose a dénaturé cette essence. La faillite quasi-simultanée de tant d’entreprises et des consommateurs due au manque des crédits, ainsi que la situation d’insolvabilité technique des banques nous révèle que l’essence originelle du marché n’est pas coupable de la crise. Elle a été corrompue. À un moment donné, on a commencé à échanger des richesses non contre d’autres richesses, mais contre du… vent !

Consommation exagérée

Le problème ne réside donc pas dans le marché en soi, mais dans un facteur qui incite les producteurs à « trop » investir, les consommateurs à «trop » consommer, et tous à « trop » s’endetter. En effet, il ne faut pas commencer l’analyse de la crise avec la crise elle-même mais avec le boom économique qui l’a précédée.

On peut observer que dans toutes les crises économiques modernes, les temps de trouble sont précédés par des périodes de croissance apparemment exubérante. Mais en fait, il s’agit d’une croissance des dépenses de monnaie et non d’une croissance de la disponibilité réelle des richesses — du moins pas d’une disponibilité réelle qui accompagnerait ces dépenses. Ces dépenses sont rendues possibles non grâce à une accumulation des richesses épargnées qui seraient ensuite investies et amplifiées par la production, mais par une expansion du crédit bancaire à découvert des réserves de liquidité (richesses réelles) avant et durant le boom.

Les banques privées, soutenues par les banques centrales, se lancent en effet à dans la création d’un crédit qui excède ce qu’elles ont en réserve. En mettant ces crédits à la disposition d’entreprises et de consommateurs, les banques occasionnent un boom des dépenses dans la consommation et les investissements. Elles mettent leurs bilans en danger permanent. Dans leur passif, elles ont des obligations présentes composées des comptes des anciens clients, plus ceux de nouveaux débiteurs. Dans leur actif, les obligations à leur faveur sont dans leur majorité écrasante des obligations futures. Il y a donc une désynchronisation totale dans le bilan des banques.

Les banques privées pratiquent ce schéma parce que c’est le rôle officiel des banques centrales d’agir comme régulateur du système, fournisseur de liquidités et donc prêteur en dernier ressort. Tout manque mineur de liquidité de la part des banques privées est couvert par les banques centrales. Le risque moral et la falsification du marché sont donc installés dans l’économie de manière officielle, non par le marché, mais par l’État. Tant que les crédits continueront à circuler dans l’économie, le boom se poursuivra. Des projets d’investissement et de consommation qui n’auraient pu être envisagés précédemment car les richesses nécessaires n’étaient pas disponibles, maintenant deviennent envisageables en apparence. Donc, plus ce boom fondé sur le crédit est étendu, plus les mauvais investissements et l’endettement de consommateurs s’accumuleront. Mais lorsque le remboursement des crédits devient imminent, le manque de ressources réelles dans l’économie est alors évident.

Avec l’État

Des entreprises sont abandonnées non par manque de crédit, mais parce que les richesses nécessaires pour les soutenir n’ont pas été épargnées au préalable. Les dépenses en consommation ne peuvent plus continuer car les rémunérations qui les soutenaient avaient leurs jours comptés dès le début du cycle. La crise actuelle n’est pas due à un problème inhérent au système de marché, mais au fait que ce système a été faussé. S’il est vrai que les banques privées sont le véhicule principal de cette expansion insoutenable du crédit, le phénomène n’aurait pu connaître une telle ampleur sans un support institutionnel légitime. Ce dernier est accordé par l’État de deux manières. D’abord par la présence d’une banque centrale qui couvre les manques mineurs de liquidités au long du boom, et ensuite par l’endettement public croissant — croissant en grande partie grâce au fait que les banques sont autorisées à créer du crédit à découvert même pour des clients surendettés, comme l’État justement.

Pratiquement aucun État moderne ne s’attaque au problème de fait, le système monétaire commandé par une banque centrale. Mais cela n’est pas surprenant car l’instrument principal des plans de relance est le déficit budgétaire. Les déficits budgétaires impliquent d’éviter une hausse des impôts immédiate en s’appuyant sur un endettement additionnel et prolongé. Mais où trouver des sources supplémentaires de crédit sinon dans les banques sauvées par l’État et remises en forme… pour tout recommencer ?

Gabriel A. Giménez-Roche est professeur d’économie à l’Université d’Angers.

Gabriel A. Giménez-Roche

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