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Changer de voiture n’est pas nécessairement «développement durable» !

Article publié le 11 novembre 2010 sur LeMonde.fr.

L’heure est aux satisfécits. Le Comité d’évaluation du Grenelle Environnement vient de remettre son rapport au ministre de l’Écologie, Jean-Louis Borloo. Il apparaîtrait que 96 % des propositions du Grenelle de l’environnement ont reçu un début d’exécution et que 59 % seraient entièrement mises en œuvre, moyennant près de 450 articles de loi et 70 dispositions fiscales. Le rapport de 222 pages, rédigé avec le concours d’Ernst & Young, tombe à point au moment où Jean-Louis Borloo pourrait être appelé à d’autres fonctions.

Parmi les sujets mis en avant comme des réussites, l’automobile. On lit dans le rapport que bonus-malus et primes à la casse auraient permis « d’assainir » le parc existant et de lui substituer un parc automobile beaucoup plus performant sur le plan environnemental. En témoigne la chute du nombre de grammes de CO2 émis par kilomètre parcouru, qui passe en dix ans de 165 grammes en moyenne à 133 grammes, selon l’ADEME[Émissions des véhicules neufs – Source : Les véhicules particuliers en France, ADEME, mai 2010. Voir aussi l’excellent article «[Avoir le véhicule vert» publié dans la Libre Belgique, le 10 juillet 2010.]].

Pourtant, le changement de voiture n’est pas nécessairement synonyme de réduction d’émissions de CO2. Prenons un exemple concret. Mon véhicule est un diesel fabriqué en 1999. Il émet 161 grammes en moyenne au kilomètre, soit exactement la moyenne des diesels produits à l’époque. Souhaitant préserver l’environnement tout en profitant de l’effet d’aubaine que représente la prime à la casse, j’aurais pu le remplacer en début d’année par un nouveau diesel émettant 133 grammes au kilomètre. Pour chaque kilomètre, j’aurais donc rejeté 28 grammes de CO2 de moins. Sur une année pleine, avec 10 000 kilomètres parcourus, cela aurait représenté 280 kg de CO2 de moins. Serais-je pour autant devenu un bon élève du Grenelle? Pas si sûr!

Pour être complet, mon calcul doit intégrer les émissions de CO2 liées à la destruction de mon ancien véhicule, qui serait parti à la casse, et à la fabrication de son remplaçant. J’aurais en effet fait détruire un véhicule – qui aurait encore pu me servir plusieurs années – et aurais été responsable de la construction d’un nouveau. Selon l’étude « bilan carbone » de l’ADEME, Agence française de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, la fabrication d’une voiture d’une tonne suscite 5,5 tonnes d’émissions de CO2. Avec une nouvelle voiture d’une tonne deux, j’aurais été responsable de 6,6 tonnes d’émissions supplémentaires. À mon rythme d’utilisation actuel, il aurait fallu que je roule avec pendant près de 24 ans pour compenser le surcoût d’émission de CO2 lié à la fabrication de cette voiture.

Il ne s’agit bien sûr que d’un exemple. Si je roulais deux fois plus, soit 20 000 kilomètres par an, le point mort d’émissions de CO2 interviendrait après 12 ans. Toujours est-il que cet exemple montre que la démarche du Comité d’évaluation du Grenelle — qui se félicite des économies de CO2 au kilomètre en occultant les émissions suscitées par le rajeunissement prématuré du parc automobile – n’a aucun sens. Les émissions de CO2 liées à la production de véhicules sont très significatives par rapport aux émissions liées à leur utilisation. Inciter les consommateurs à changer leur véhicule régulièrement en vertu de prétendus apports écologiques est trompeur. En matière de développement, comme dans toute question économique, il faut prendre en compte ce que l’on voit et ce que l’on ne voit pas…

Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari.

Cécile Philippe

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