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Fonds Monétaire Européen : avancée concrète ou gesticulation médiatique ?

Article rédigé pour l’Institut Hayek et publié le 19 mars sur le site Contrepoints.

Dans le contexte de la crise financière grecque, Wolfgang Schäuble, le ministre de l’économie et des finances allemand, propose de créer un fonds monétaire européen (FME).

Cette nouvelle organisation servirait à doter la zone euro d’un instrument pour assainir les comptes d’un État de l’Union monétaire menacé de faillite en le subventionnant selon des principes budgétaires stricts. « Pour la stabilité de la zone euro, nous avons besoin d’une institution qui dispose des expériences du FMI et de pouvoirs d’intervention analogues », a déclaré le ministre chrétien-démocrate.

De quoi s’agit-il?

Depuis la création de l’Union monétaire, voici dix ans, les traités interdisent de renflouer un État membre. Une clause à laquelle les Allemands demeurent très attachés, et qui complique les tractations en cours pour soutenir Athènes si nécessaire.

L’émergence d’un FME pourrait permettre de court-circuiter ce principe de non-renflouement, tout en disposant d’un levier pour imposer des conditions strictes, voire des sanctions aux pays qui ne respecteraient pas leurs engagements (notamment la suspension des droits de vote dans les instances européennes, ou celle de certaines subventions).

Vers un gouvernement économique européen ?

Quels seraient les outils à disposition du FME ?

Pour punir les Etats incapables de contrôler leur dette publique et leurs déficits, le FME aurait le pouvoir de suspendre les fonds de cohésion européens et de suspendre le droit de vote des pays fautifs lors des réunions du Conseil de l’Union Européenne.

La décision de venir ou non en aide à un État donné serait ainsi prise à l’unanimité moins la voix de l’État concerné par les ministres des finances de la zone euro.

Le débat est ouvert pour savoir si ce FME concernerait seulement les 16 États membres de la zone euro ou bien les 27 États membres de l’Union Européenne. Il est probable que c’est la réaction du gouvernement britannique qui fera pencher la balance d’un côté ou de l’autre.

Le porte-parole chargé des affaires économiques de la Commission, Amadeu Altafaj Tardio, a précisé que la Commission européenne en profiterait pour proposer la création de nouveaux outils allant vers un gouvernement économique coordonné et des moyens de surveillance plus importants. Il est même question de nouveaux pouvoirs donnant à la Commission un droit de regard sur le niveau de rémunération des fonctionnaires nationaux.

Le FME destiné à assurer l’indépendance de la zone euro envers le FMI ?

Les membres de la zone euro seraient aussi dans l’obligation de refuser toute aide issue du FMI, ce qui permettrait à la zone euro de ne pas être dépendante de la Chine ou des Etats-Unis.

Du moins, c’est ce que tout le monde dit. Mais pourquoi dit-on cela ?

Certains disent que le FMI roule pour Washington en soulignant que, du fait du système de vote actuel, les États-Unis ont effectivement un pouvoir de veto sur les décisions prises par le FMI. D’autres avancent que Nicolas Sarkozy verrait d’un mauvais œil la perspective de laisser le FMI dirigé par le socialiste et probable présidentiable Dominique Strauss-Kahn sauver la mise à un pays européen avant 2012. Ces explications semblent trop simples ou trop compliquées pour être vraies.

Il existe sans doute une dose de fierté européenne dans ce projet. Mais le FMI n’est pas le faux-nez de Washington ; il s’agit plutôt d’une organisation internationale complexe, composée d’économistes capables et de technocrates issus de nombreux pays différents. De même, en 2012, il est peu probable que les électeurs français érigent Dominique Strauss-Kahn au rang de sauveur national parce qu’il a dirigé une opération sur les bons du trésor grecs.

De nouveaux bruits de couloir circulent à la Commission européenne. Certains dirigeants n’auraient pas apprécié les recommandations que le FMI avait données à la Lettonie quand celle-ci a eu besoin d’aide d’urgence en 2009. Le FMI avait en particulier suggéré au pays balte de dévaluer sa monnaie, ce qui est une composante du package de secours habituel du Fonds. Le commissaire européen aux affaires économiques et monétaires de l’époque, Joaquín Almunia, avait quant-à lui fermement conseillé à la Lettonie de ne pas dévaluer le Lats letton, celui-ci étant chevillé à l’euro. Lors de la crise lettone, la Commission européenne aurait donc été frappée par le fait que le FMI ne propose qu’une solution par défaut ne tenant pas compte des particularités européennes de la situation du pays en difficulté.

Plus concrètement, l’alternative entre FMI et FME est sans doute liée aux raisons suivantes. Lorsqu’il est confronté à une situation où un pays est dans une situation très difficile, le FMI continue de jouir d’une grande indépendance envers ce pays (le FMI ne sera pas impacté si le pays ne s’en sort pas) ce qui lui permet de demander beaucoup de concessions (des réformes structurelles importantes) au pays en question en échange de l’aide financière internationale.

Or, comme on le voit avec la crise grecque, les Etats-Membres de l’UE sont moins capables de simuler l’indifférence lorsqu’un des leurs est en situation très périlleuse. Cela pour deux raisons : les pays européens sont constamment en négociations croisées les uns avec les autres (un pays A demande le soutient d’un pays B sur le dossier 1 contre son soutient au pays B sur le dossier 2) ; du fait de leur imbrication économique, les pays européens (surtout ceux qui sont membres de la zone euro) sont menacés par la contagion d’une crise financière émanant d’un de leurs membres. En d’autres termes, les pays de l’UE (donc le potentiel FME) sont moins indépendants, jouissent moins d’un avantage dans les négociations avec un pays en difficultés que le FMI. Si la Grèce dévisse pour de bon, l’Allemagne n’a que deux options : ou bien elle vient en aide au pays en défaut, ou bien elle abandonne le système monétaire européen. Donc, à l’inverse du FMI, le FME aura le devoir de faire de la prévention pour éviter les défauts plutôt que de porter secours aux pays en difficultés et le FME subira l’influence politique du pays en défaut sur les autres dirigeants européens qui présideront à la destinée du Fonds.

Une réponse de l’UE à l’instabilité de la zone euro

Il existe déjà un Fonds d’aide européen à la balance des paiements doté de 50 milliards d’euros (15 milliards avant la crise de 2008) qui a bénéficié à la Lettonie, à la Hongrie et à la Roumanie. Mais ses destinataires ne peuvent en aucun cas être des États membres de la zone euro, les traités interdisant toute aide budgétaire en son sein.

L’idée qui sous-tend cet interdit est que chaque pays de la zone, même partageant la même monnaie, demeure responsable de ses finances publiques, les marchés se chargeant de sanctionner les « mauvais élèves » en demandant des taux d’intérêt plus élevés pour prêter de l’argent. L’Allemagne redoutait, en particulier, que ses partenaires ne contrôlent plus leurs finances publiques une fois dans l’euro s’ils avaient la certitude que la Banque centrale européenne (BCE) ou les membres de la zone euro voleraient à leur secours en cas de problème grave.

En outre, cela aurait posé un problème démocratique : une clause de solidarité reviendrait à rendre responsable les citoyens allemands ou français de dépenses engagées par un gouvernement qui n’est pas responsable politiquement devant eux.

Mais la crise grecque a montré que la défaillance d’un pays pouvait mettre en péril l’existence de l’euro, comme le pensaient depuis l’origine les économistes opposés à la monnaie unique. Or, aucun instrument n’a été prévu dans un tel cas. D’où la préparation, dans la panique, d’un plan d’aide destiné à acheter entre 20 et 25 milliards de dettes grecques au cas où les marchés exigeraient des taux d’intérêt trop élevés.

La création d’un FME ne permettra pas d’aider la Grèce à court terme. Mais c’est une façon de muscler la surveillance et la coordination des politiques économiques et budgétaires, le pacte de stabilité ayant montré ses limites.

Un FME qui fait débat et qui dresse la Banque Centrale Européenne contre les gouvernements nationaux

Du bout des lèvres, Angela Merkel a apporté son soutien à ce projet lors d’une rencontre au Luxembourg le 9 mars avec le Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker, soulignant que la crise des finances publiques grecques démontraient que les moyens à dispositions de l’UE n’étaient pas suffisamment bons pour trouver des réponses lorsque l’un de ses membres, lourdement endetté, fait face à une crise de confiance. Pour Angela Merkel, les partenaires de la zone euro portent désormais la responsabilité commune d’assurer à la monnaie unique une stabilité nouvelle. Elle a aussi exprimé son accord en précisant que cela permettrait à l’UE de ne pas être dépendante du Fonds Monétaire International en période de crise grave. La chancelière allemande a toutefois rappelé que cela nécessiterait un changement des traités européens et l’accord des 27 États membres. Selon elle, les traités actuels ne sont « pas la fin de l’histoire. Nous ne sommes pas dans un système statique, je ne veux pas de cela. Je veux une Europe capable de réagir ».

Paris a également accueilli ce projet avec un enthousiasme tempéré. Un porte-parole de Christine Lagarde aurait ainsi déclaré : « C’est une idée intéressante mais nous avons encore à voir comment elle pourra être articulée avec d’autres propositions ». La ministre française de l’économie et des finances a aussi déclaré que ce projet de FME n’était pas une priorité absolue à court terme.

L’opposition la plus frontale, est, à ce jour, venue de la BCE. « Un tel mécanisme ne serait pas compatible avec les fondements de l’Union monétaire », a estimé son chef économiste, l’Allemand Jürgen Stark, dans une tribune au quotidien Handelsblatt, mardi 2 mars : « Ce serait le début d’une péréquation financière, qui pourrait coûter cher, qui ne stimulerait pas dans le bon sens et qui alourdirait la charge de pays aux finances publiques solides. » Il a affirmé que la création d’un tel organisme serait un signal pervers envoyé aux membres de la zone euro et ne ferait qu’accentuer l’aléa moral propre à cette situation : « Les pays qui n’ont pas respecté les règles de l’union monétaire et qui ont profité de l’euro sans se plier aux conditions permettant d’y avoir accès ne devraient pas être récompensés pour leur mauvaise conduite ». Plutôt qu’un FME, M. Stark préfère une nouvelle réforme du pacte de stabilité.

Wolfgang Münchau, éditorialiste au Financial Times, estime quant-à lui que ce projet de FME est un écran de fumée destiné à cacher que ce qui est effectivement proposé est un mécanisme permettant à certains membres de la zone euro de sortir de celle-ci sans sortir de l’Union Européenne. Il ne s’agit donc pas d’aider les pays en difficultés à résoudre leurs problèmes à l’intérieur de la zone euro : il s’agit de les faire sortir de la zone euro afin de résoudre leurs problèmes.

Il est très probable que la Banque Centrale allemande montrera la plus grande réticence à transférer ses réserves d’or au FME, puisque celle-ci est habilitée à décider du devenir de son or de manière indépendante.

Pourtant, malgré ces réactions en demi-teinte et ces franches oppositions, la Commission européenne a annoncé la semaine dernière qu’elle allait présenter un projet avant le mois de juillet pour créer un EMF dès que possible.

Nouvelle réforme des traités en vue…

Même si le commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, Olli Rehn, a indiqué qu’il était encore trop tôt pour statuer sur la nécessité de modifier les traités existants pour créer cet organisme, il semble clair que le traité de Maastricht interdit aux États membres de la zone euro d’accorder une aide financière directe à un de leur membre. La création d’un FME nécessiterait donc un nouveau traité européen, un processus complexe comme l’a montré la ratification chaotique et très discutable du traité de Lisbonne.

Ainsi, selon The Irish Times, suite aux difficultés qu’il a rencontrées à ratifier le traité de Lisbonne malgré l’opposition de la majorité des citoyens du pays, le gouvernement français apparaît très réticent à engager un débat institutionnel public ayant pour thème la création d’un FME.

… ou passage en douce sans demander leur avis aux citoyens européens ?

A Paris, on considère que cette initiative va dans la bonne direction. Mais on fait aussi valoir que la création d’un FME exigerait une nouvelle réforme des traités. Ce qui prend du temps. Or, la gestion de la crise grecque pourrait, si la situation devait de nouveau se dégrader, nécessiter une intervention dans les prochaines semaines. « Les problèmes grecs ne nous permettent pas vraiment d’attendre », souligne un expert des questions financières.

Il semble bien que le plus grand obstacle à la création d’un FME soit la nécessité de modifier les traités européens existants. Les gouvernements européens vont donc peut-être proposer que cette nouvelle institution soit créée en dehors de l’Union Européenne, ce qui permettrait de passer outre la ratification du projet par les citoyens des 27 États-Membres.

Mais il existe une seconde solution. Plusieurs bruits de couloirs font état d’une note préparée par les services juridiques du Conseil des ministres de l’Union Européenne qui affirme que la création d’un FME ne nécessiterait pas de modifier les traités existant : sa mise en place pourrait être votée à l’unanimité par les 27 chefs d’État et de gouvernements.

Et si tout cela n’était que des paroles en l’air ?

On est bien en peine d’imaginer Paris et Berlin se mettre d’accord sur ce que serait une bonne politique économique, des comptes publics équilibrés et une situation financière saine. La solution esquissée par le ministre allemand des finances reviendrait alors à centraliser un problème décentralisé, sans résoudre le problème lui-même.

La façon dont Schäuble envisage le FME (un organisme chargé de faire régner la discipline budgétaire et de sanctionner les pays qui ne parviennent pas à aligner leurs déficits sur les critères de Maastricht) ne plaît pas à un gouvernement français peu enclin à la rigueur des comptes publics.

Berlin a bien conscience de ces divergences de point de vue entre les deux pays. Donc comment interpréter cet appel à la création d’un FME ? Peut-être que, après avoir été accusée de trainer les pieds pour sauver le soldat grec, l’Allemagne a choisi de s’afficher solidaire en faisant beaucoup de bruit sans débourser un centime à propos d’un projet qui n’aboutira certainement pas.

Deux grandes options permettraient de tenter de résoudre les problèmes de la zone euro : un fédéralisme fiscal ou une assistance financière au pays en difficultés. Etant donné que la voie du fédéralisme fiscal ne paraît pas réaliste à court et moyen terme, la seule option plausible reste la seconde.

Celle-ci peut être déclinée de deux façons différentes : soit le FMI intervient, soit l’Union Européenne intervient. Pour l’instant, il est peu probable que l’Union Européenne intervienne car elle ne dispose ni des bases juridiques solides pour le faire, ni du mécanisme organisationnel nécessaire, ni de l’instrument financier adéquat, ni du savoir-faire historique. Tout semble donc indiquer que c’est le FMI qui interviendra si la situation le demande.


Alex Korbel est consultant en affaires publiques européennes et chercheur associé à l’Institut économique Molinari.

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