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Pour Cécile Philippe, la croissance est aussi infinie que la créativité humaine

Interview publiée dans L’Echo le 9 juillet 2009. Propos recueillis par Frédéric Rohart.

Cécile Philippe, directrice générale de l’Institut économique Molinari, poursuit le débat sur la croissance (après Serge Latouche et Etienne de Callataÿ).

Une croissance infinie est-elle possible dans un monde fini?
La croissance mesurée en pourcentage de PIB n’est pas toujours un bon indicateur, mais le « monde fini » est une illusion. La limite d’une ressource est relative. Les alarmistes n’ont cessé de nous annoncer d’abord la fin du charbon puis celle du pétrole alors que les limites prouvées de ces ressources étaient repoussées sans fin. Mais le coeur du problème est que l’on confond les ressources naturelles et les services économiques qu’elles rendent aux hommes. Seuls ces derniers sont pertinents pour penser le développement économique. Or c’est le développement des connaissances qui permet de découvrir les caractéristiques des ressources, les services qu’elles peuvent rendre, les moyens de les remplacer. La créativité repousse sans cesse les limites auxquelles la finitude des ressources semble nous confronter. La seule limite réelle au développement économique à un instant donné réside en la rareté du temps des hommes.

On pourrait, selon vous, « dématérialiser » la croissance?
Je ne vois de distinction entre matériel et immatériel: l’homme est avant tout matière, et quoi qu’il fasse, il utilise de la matière. Au fur et à mesure que des ressources se font rares, il apprend à les économiser, puis à utiliser des ressources de substitution.

Que reprochez-vous au PIB et quel indicateur lui préférer?
Il ne donne pas une bonne représentation de l’ensemble de la valeur du capital (il n’incorpore pas les biens intermédiaires des stades de la production). Et plus largement, le développement n’est pas toujours chiffrable.

Etienne de Callataÿ disait hier dans nos pages que l’exploitation des ressources naturelles devrait être soustraite au PIB…
Pas si ce qu’on cherche à mesurer est le développement économique, à savoir la valeur des ressources que l’être humain a prélevé dans la nature afin de répondre à ses divers besoins.

Mais alors, un indicateur plus fin est-il concevable?
Oui, s’il s’attache à prendre en compte toutes les stades de production et pas seulement le stade final. Tout dépend aussi de ce qu’on en fait. Le problème du PIB, c’est qu’il est instrumentalisé à des fins politiques.

Serge Latouche compare la croissance à une religion. Qu’en pensez-vous?
Ce l’est pour les hommes politiques qui ont les yeux rivés sur l’idée de croissance mesurée très imparfaitement en pourcent de PIB. Et l’on peut en effet se demander s’il ne faut pas parler dans certains cas d’une fausse croissance, comme le révèle la crise financière. Mais le développement économique est tout sauf une religion, si l’on accepte le postulat que le bien-être humain a de la valeur. La vraie question est de savoir quel type de croissance on veut promouvoir. Acceptons-nous que la capacité illimitée de création et d’innovation de l’être humain soit mise au service de son développement dans le respect des autres et de son environnement? Ou bien faut-il lui interdire tout simplement de se développer au nom d’une valeur supérieure de la préservation de la nature?

Ceux qui plaident pour la fin de la croissance mettent-ils le doigt sur des questions importantes ou sont-ils au contraire irresponsables?
La crise financière que nous vivons permet d’une certaine façon de leur donner raison, à savoir que la croissance – en particulier des dernières années – repose sur des bases artificielles et dangereuses si bien qu’elle conduit à un gaspillage des ressources naturelles. En effet, sous l’impulsion des pouvoirs publics via une politique monétaire laxiste, de nombreuses ressources naturelles ont été utilisées et transformées pour réaliser des projets non viables. Au lieu de laisser l’épargne individuelle irriguer une croissance durable et solide, les pouvoirs publics – via la création de monnaie et le système des réserves fractionnaires – ont favorisé une croissance à tous crins, sans aucune rationalité économique. En ce sens, les partisans de la décroissance ont raison: ce type de croissance est inéluctablement voué à l’échec, car il ignore qu’une croissance durable est fondée sur des bases saines, à savoir l’épargne individuelle, l’accumulation du savoir et du capital. Reste qu’il ne faut pas jeter le bébé (la croissance réelle) avec l’eau du bain (la croissance forcée par les pouvoirs publics).

*Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari.

Cécile Philippe

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