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La déflation, révélateur de nos problèmes économiques

Une version de cet article a été publiée sur Lemonde.fr, le 18 septembre 2009.

Depuis des mois, le spectre de la déflation est agité comme un repoussoir par les autorités politiques et monétaires. La Réserve fédérale (Fed) aux États-Unis et la Banque centrale européenne (BCE) en Europe ont d’ores et déjà injecté de grandes quantités de monnaie pour tenter de l’éviter. En France, les craintes déflationnistes ressurgissent avec l’annonce par l’INSEE des chiffres des prix à la consommation, qui ont reculé de 0,4 % en juillet et de 0,7 % sur un an. La déflation est-elle une menace qui nécessite les interventions dites « non conventionnelles » des banques centrales et des gouvernements ? En vérité, elle accompagne un processus nécessaire d’ajustement qui met en lumière deux des maux les plus pernicieux de nos économies : la création monétaire déconnectée de la création de richesses réelles et l’endettement excessif des entreprises et des ménages.

La déflation est couramment présentée comme une baisse généralisée et durable des prix entraînant une chute de la consommation et de l’investissement ainsi que la faillite en chaîne des entreprises et des ménages endettés. Un cercle vicieux s’enclencherait alors, qui prolongerait la récession.

Tout d’abord, l’idée selon laquelle une baisse des prix impliquerait mécaniquement des comportements attentistes – un retardement de la consommation et des investissements – est erronée, comme l’illustre l’exemple des nouvelles technologies, dont les prix n’ont cessé de baisser depuis 15 ans et dont les ventes ont constamment battu des records.

Mais plus fondamentalement, la déflation est un phénomène monétaire qui doit être appréhendé comme tel et qu’il ne faut pas confondre avec ses conséquences potentielles en termes de baisse des prix. Elle est une appréciation du pouvoir d’achat de la monnaie consécutive à une contraction de la masse monétaire. Dans le cas présent, il est nécessaire de rappeler les causes monétaires de la crise pour comprendre le phénomène déflationniste.

Après le krach des nouvelles technologies en 2000, les banques centrales américaine et européenne ont injecté d’abondantes quantités de monnaie (créées à partir de rien) dans l’économie en baissant leurs taux directeurs. Entre 2000 et 2008, la masse monétaire – mesurée par l’agrégat M2 – a doublé en Europe comme aux États-Unis, sans que la richesse réelle ne progresse dans des proportions similaires. Tout lien a donc été rompu entre création monétaire et création de richesses réelles. De nombreux investissements ont été rendus artificiellement rentables par les faibles taux d’intérêts, c’est-à-dire par l’abondance de monnaie, et le crédit facile. Les secteurs ayant le plus bénéficié du crédit – à commencer par le secteur financier, l’immobilier ou l’automobile – ont crû fortement. Les prix dans ces secteurs ont crû davantage que la moyenne, dans la mesure où ils ont été gonflés par la création monétaire.

La crise est survenue en 2008 quand la non-rentabilité réelle des investissements effectués à crédit est apparue au grand jour. La reprise de la croissance suppose dès lors la liquidation des activités non rentables et la redirection des capitaux mal investis vers les secteurs les plus productifs. Quant aux banques, il leur est nécessaire de reconstituer leurs fonds propres en diminuant leur volume de crédit, en ne prêtant plus qu’aux secteurs réellement rentables et aux ménages réellement solvables. D’où une contraction inéluctable de la masse monétaire.

Ce qu’il convient de blâmer, ce n’est donc pas la déflation, qui n’est qu’un processus inévitable de retour à la normale, mais les politiques monétaires qui ont permis le recours excessif au crédit et la formation d’une bulle. Il est vrai que les acteurs les plus endettés souffrent en période de déflation. Mais là encore, la déflation n’est pas le problème fondamental, elle n’est qu’un révélateur de l’endettement trop fort des ménages ou des entreprises. Cet endettement a lui-même été encouragé par certaines politiques publiques.

Dans le cas des entreprises, le laxisme monétaire est couplé – en France et dans de très nombreux pays – à une politique fiscale qui incite au financement par la dette plutôt que par le capital. En effet, les intérêts de la dette, qui sont considérés comme des charges, ne sont pas taxés et permettent de réduire les impôts. À l’inverse, les dividendes issus du bénéfice, qui rémunèrent le capital, le sont. L’endettement excessif de nombreux acteurs est donc, dans une large mesure, un produit d’interventions publiques. La déflation, inévitable pour permettre la réallocation correcte du capital et le retour de la croissance, ne fait que mettre ces déséquilibres en lumière.

Pour autant, accepter la liquidation brutale de certaines activités ne fonctionnant que grâce au crédit n’est-il pas dangereux ? Il est fréquemment fait référence au marasme dans lequel le Japon est resté englué tout au long de la décennie 1990 pour illustrer les méfaits supposés de la déflation. En réalité, l’État japonais a désespérément tenté, pendant des années, de conjurer la déflation par de fortes doses d’inflation. Mais le fait d’imprimer de nouveaux billets ne permet pas de régler les dettes qui subsistent. Le processus nécessaire d’ajustement – c’est-à-dire la faillite des entreprises non rentables ayant crû artificiellement pendant la phase de boom – a été entravé, ce qui a prolongé la convalescence de l’économie japonaise. La « décennie perdue » du Japon n’a donc pas été la conséquence de la déflation, mais des politiques visant à l’endiguer. Le plus gros danger consiste à croire que l’on peut préserver des secteurs entiers de la faillite en créant de la nouvelle monnaie.

Les États-Unis et l’Europe sont actuellement à un tournant. Si les injections massives de liquidités dans l’économie, notamment outre-Atlantique, sont poursuivies, l’ensemble des pays les plus développés pourraient s’enfermer pour de longues années dans le marasme. Plus que jamais, il est essentiel de tirer les leçons de l’expérience japonaise et de pointer les vrais problèmes : l’endettement excessif de nombreux acteurs de l’économie, rendu possible par les politiques monétaires laxistes des banques centrales et les incitations fiscales au financement par la dette. Pas la présumée déflation !

*Guillaume Vuillemey est chercheur à l’Institut économique Molinari.

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