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Laissons les banques suisses en paix

En juillet dernier, un client américain de la banque UBS a reconnu avoir rempli une fausse déclaration d’impôt afin de dissimuler plusieurs millions de dollars sur des comptes bancaires suisses. Pour certaines personnes, cet aveu ne fera que confirmer leur impression selon laquelle la Suisse est un refuge pour criminels et dictateurs qui souhaitent protéger leur argent du fisc ou de toute forme de contrôle.

En juillet dernier, un client américain de la banque UBS a reconnu avoir rempli une fausse déclaration d’impôt afin de dissimuler plusieurs millions de dollars sur des comptes bancaires suisses. Pour certaines personnes, cet aveu ne fera que confirmer leur impression selon laquelle la Suisse est un refuge pour criminels et dictateurs qui souhaitent protéger leur argent du fisc ou de toute forme de contrôle.

Mais pour nous en Suisse, la législation protégeant le secret bancaire est un fondement de la dignité individuelle et une garantie des droits de propriété.

Malheureusement, la confidentialité, qui est au cœur du système bancaire suisse, subit des pressions grandissantes. La crise économique mondiale a conduit certains gouvernements à intensifier leurs efforts pour rechercher des recettes fiscales à l’étranger – et la Suisse, qui représente environ 30 % des richesses privées offshore, est une cible naturelle.

Plus tôt cette année, la Suisse a été placée sur la « liste grise » de l’Organisation pour la Coopération et le Développement Économique et menacée de sanctions financières, ce qui a conduit le gouvernement à renégocier provisoirement ses accords fiscaux avec une douzaine de pays. La plupart de ces accords obligeront la Suisse à donner les informations financières des particuliers poursuivis pour des raisons fiscales, en accord avec les standards de l’organisation.

Le département américain de la justice est même allé plus loin en intentant un procès à UBS, cherchant ainsi à récupérer les noms de 52 000 contribuables suspectés d’avoir masqué une part de leur fortune au fisc. (Les États-Unis et la Suisse se sont mis d’accord sur le principe de régler le problème hors des tribunaux).

La Suisse, qui accueille le siège d’un nombre impressionnant de multinationales, a aussi été attaquée par l’Union européenne parce qu’elle offrirait une législation fiscale trop favorable, ceci incluant des exemptions sur les revenus gagnés à l’étranger. Mais ce que les critiques oublient, c’est que ces pratiques bénéficient aussi aux autres pays. Les firmes suisses, à elles seules, emploient des centaines de milliers des personnes aux États-Unis ou en Allemagne, par exemple. Les filiales de ces multinationales paient des impôts dans les pays où elles sont installées. Et le fait d’avoir leur siège en Suisse permet à ces compagnies d’éviter une taxation multiple dans les pays à forte pression fiscale, donc de préserver leur capital productif pour investir.

Jusqu’à récemment, le gouvernement suisse a constamment insisté sur la souveraineté du pays et refusé d’aider les autres gouvernements en cas d’évasion fiscale – c’est-à-dire, dans les cas où un contribuable ne déclare par certains revenus, intentionnellement ou non. Alors que la fraude fiscale est répréhensible ici, l’évasion fiscale ne l’est pas (bien qu’elle puisse donner lieu à des amendes).

La particularité suisse consistant à considérer l’évasion fiscale comme une simple infraction administrative a une longue histoire. Nous pensons que le gouvernement existe pour servir le peuple, et non l’inverse. Nous comprenons que nous devons payer des impôts – et nous le faisons, de nombreuses études montrent que les Suisses sont extrêmement honnêtes pour payer ce qu’ils doivent – mais nous ne pensons pas qu’il est du ressort du gouvernement de s’immiscer dans notre vie privée et de lever des taxes excessives.

Cette attitude remonte à la création de la Suisse au 13ème siècle. Le ressentiment des communautés suisses originelles envers ce qu’elles percevaient comme une oppression fiscale par les Habsbourg les a incitées à demander leur indépendance en 1291.

Aujourd’hui, les citoyens suisses continuent à voter par référendum pour chaque hausse des impôts (que parfois ils acceptent). Ces freins à l’action du gouvernement contrastent avec le concept orwellien de « citoyen transparent » dont chaque acte doit être connu du gouvernement. Nous voyons notre système comme un pacte social entre les citoyens et l’État.

Les lois suisses de protection de la vie privée aident à préserver les droits de propriété fondamentaux. Le secret bancaire a été introduit en 1934, principalement pour protéger l’identité et les actifs des Juifs vivant en Allemagne nazie. (Malheureusement, les mêmes règles ont compliqué la tâche de leurs héritiers pour accéder à ces comptes sans les documents appropriés, ce qui a conduit à une décision des banques suisses en 1998 de payer 1,25 milliard de dollars pour mettre fin aux procès relatifs à l’Holocauste). La corruption, l’expropriation, le meurtre ou la persécution de nombreuses minorités sont encore des risques majeurs sur une grande part de la planète. Pour les personnes subissant ces menaces, le secret bancaire est un moyen de protéger leur propriété légitime.

Certains expliquent que les comptes bancaires suisses offrent des protections identiques aux criminels, mais en réalité, les garanties contre le blanchissement d’argent sont sévères. Les banquiers suisses doivent connaître leur client ainsi que l’origine des fonds qu’ils acceptent. Ils doivent alerter les autorités de régulation s’ils suspectent des activités criminelles.

Le secret bancaire jouit d’un très large soutien en Suisse. Selon le dernier sondage annuel, réalisé par l’institut M.I.S. Trend, 78 % plaident pour un maintien de la législation telle qu’elle est, et 91 % sont attachés à la protection de leurs données financières. Ceci est particulièrement vrai depuis que les citoyens suisses sont censés se prononcer par référendum sur les traités fiscaux renégociés.

Si le gouvernement échoue à convaincre une majorité de votants, les traités ne vont pas entrer en vigueur. Mais s’ils sont ratifiés comme prévu, le gouvernement suisse doit approuver les seuls échanges d’informations dans des cas individuels et avec suspicion de fraude fiscale importante.

Les autres gouvernements doivent voir cela comme un juste compromis. On ne résoudra pas le problème de l’évasion fiscale en punissant les déposants honnêtes et en mettant fin aux traditions suisses.


*Pierre Bessard est journaliste au quotidien économique suisse l’Agefi et le président du Liberales Institut, un institut de recherche suisse.

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