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Les réformes ratées du président Sarkozy

Article publié exclusivement sur le site de l’Institut économique Molinari.

Des réformes menées tambour battant ? À l’entendre, Nicolas Sarkozy aurait engagé un mouvement sans précédent pour moderniser l’État, refonder le modèle social français, venir à bout du chômage, ou augmenter le pouvoir d’achat. Pourtant, tout n’est pas si simple.

Dans leur nouvel ouvrage, Pierre Cahuc et André Zylberberg dressent un bilan sans concessions des réformes avancées en matière économique et sociale. Le tableau est accablant : la précipitation présidentielle amène des renoncements successifs. L’écart entre des discours et les actes est significatif. Au final, les réformes ont « plutôt tendance à aggraver les problèmes qu’elles devaient résoudre tout en creusant le déficit public ».

Tout au long de l’ouvrage, six exemples sont développés : la loi de modernisation du marché du travail, la réforme de la représentativité des syndicats, les libéralisations avortées des taxis et de la grande distribution, les incitations à effectuer des heures supplémentaires ainsi que la mise en place du Revenu de Solidarité Active (RSA). Retenons-en deux.

En janvier 2008, sous l’impulsion du gouvernement, les partenaires sociaux ont, soi-disant, modernisé le marché du travail. Il s’agissait de mettre en place un système de « flexicurité » tel qu’il prévaut dans d’autres pays européens : davantage de flexibilité pour l’entreprise qui embauche, et davantage de sécurité pour les salariés licenciés. In fine, qu’est-il advenu ?

Les partenaires sociaux ont été laissés libres de négocier un accord, que le gouvernement s’était engagé à transformer en projet de loi. Les auteurs soulignent avec raison que les problèmes structurels – tels que la définition du licenciement économique – n’ont, à aucun moment, été abordés. La seule proposition réelle des syndicats fut une nouvelle modalité de rupture du contrat à l’amiable permettant une séparation sans licenciement, offrant droit à des indemnités et aux allocations chômage. Pourtant, ceci n’a pas réduit le coût élevé des licenciements. Et quand il y a séparation, le résultat n’est meilleur qu’en apparence. Par exemple, une personne âgée de 57 ans peut désormais bénéficier de 3 ans de chômage indemnisé, c’est-à-dire… partir en retraite 3 ans avant le terme normal de son contrat ! Le seul effet notable de la loi est donc d’ouvrir la voie à la retraite à 57 ans, tout en creusant encore un peu plus les déficits sociaux. On est loin de l’objectif affiché d’augmentation du travail des seniors.

Deuxième exemple, tout aussi significatif de cette incapacité à réformer : celui de la grande distribution. Le secteur est actuellement encadré par de nombreuses réglementations (dont les plus célèbres sont les lois Galland, Royer et Raffarin). Celles-ci restreignent l’installation des grandes surfaces et posent des conditions aux prix payés par les distributeurs à leurs fournisseurs. Afin d’encourager la concurrence entre les grandes enseignes et faire baisser les prix payés par les consommateurs, Nicolas Sarkozy entendait remettre à plat ces lois.

Au départ, il s’agissait notamment de faciliter l’installation des grandes surfaces, aujourd’hui soumise à autorisation. Après des semaines de lobbying et de contestation par certains élus locaux (au nom de la protection du petit commerce), le projet de loi est complètement transformé. Il ne favorise pas la concurrence comme le projet initial le laissait entendre. Les maires disposent toujours d’un pouvoir prépondérant pour s’opposer à toute nouvelle implantation de surface comprise entre 300m² et 1000m². Au passage, la libre négociation des tarifs a, elle aussi, été abandonnée.

Si l’analyse développée par les auteurs est précise et très éclairante, un bémol est cependant à apporter : ils regrettent que les autorités antitrust n’aient pas les moyens d’intervenir en la matière. Celles-ci ne constituent pourtant pas une solution optimale. Pour favoriser une réelle concurrence, il conviendrait en fait de lever les multiples réglementations qui agissent comme des obstacles à l’implantation de grandes surfaces et non pas de pousser artificiellement de nouvelles implantations de magasins.

De même, certaines des analyses présentées Pierre Cahuc et André Zylberberg méritent d’être discutées. C’est notamment le cas de la partie consacrée au RSA, supposé faciliter le retour vers l’emploi des actuels bénéficiaires du RMI. Pour les auteurs, le manque de moyens est le principal défaut du dispositif, dont les effets seront, d’après eux, marginaux. Ils auraient souhaité que davantage d’argent soit dépensé afin d’accompagner les personnes inactives vers l’emploi, ou que certaines primes soient intégrées au RSA (faire en sorte qu’une personne reprenant un emploi conserve le bénéfice d’aides).

Ce type de proposition occulte les vraies causes du chômage qui frappe certaines tranches de la population. En France, l’existence d’un code du travail extrêmement volumineux et d’un salaire minimum interprofessionnel renchérit le coût du travail pour les employeurs. Plutôt que de subventionner la reprise d’un emploi, il serait plus efficace de lever les barrières qui empêchent ou découragent l’embauche.

Mais comment expliquer les reculs successifs du président français ? Pour Pierre Cahuc et André Zylberberg, l’échec des dix-huit premiers mois de Nicolas Sarkozy est avant tout l’échec d’une méthode : volonté d’étouffer les oppositions, puis nécessité d’accepter la conciliation. Selon eux, l’aboutissement des réformes dépend essentiellement de la qualité des institutions. Quand ils ont conscience qu’un gouvernement peut céder, les groupes de pression et les syndicats savent que le lobbying et le blocage sont rentables. De leur côté, députés et sénateurs tendent souvent à opacifier les textes, voire à les vider de leur sens. Dès lors pour ces deux auteurs, il faudrait améliorer le fonctionnement de la démocratie et des relations sociales.

En ce sens, la France est l’un des pays au monde où les relations entre employeurs et employés sont les plus conflictuelles. Les deux économistes soulignent avec justesse l’importance de modifier en profondeur le rôle et la représentativité des syndicats, qui ne représentent actuellement que 8 % des salariés. Leur financement doit être plus transparent, et reposer davantage sur les cotisations des adhérents. Ils avancent également des idées pour réformer la démocratie politique.

Le grand mérite de l’ouvrage est de mettre en parallèle les promesses et les discours avec les mesures réellement adoptées. On réalise à quel point le contenu des textes est parfois différent de la manière dont ils ont été présentés. La comparaison met en lumière des décalages conséquents, parfois des gouffres, entre les paroles et les actes. Ce décryptage lucide du début de mandat de Nicolas Sarkozy fait apparaître, derrière les apparences, une réalité bien sombre : celle d’une France où les réformes sont régulièrement bloquées ou dénaturées par des groupes d’intérêt bien organisés. Et d’un gouvernement qui se contente de ne produire que « l’apparence du changement ».

Guillaume Vuillemey est chercheur à l’Institut économique Molinari

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