Dans les médias

L’amende monstre d’Intel

Article publié le 20 mai 2009 dans Le Temps.

Il est injuste de punir Intel parce qu’une entreprise occupe une part dominante sur le marché.

En ces temps de crise économique, la décision de la Commission européenne concernant Intel semble avoir mis du baume au coeur à la communauté d’experts qui s’intéresse au sujet. Elle laisse entendre que si les temps sont difficiles, heureusement la politique de concurrence veille pour protéger les plus faibles!

Nous aimerions qu’il en soit ainsi. Malheureusement, c’est une erreur de croire qu’en sanctionnant les grosses entreprises, on favorise le consommateur!

Intel, fabricant américain de microprocesseurs, a été condamnée le 13 mai dernier à payer une amende de 1,06 milliard d’euros pour abus de position dominante sur le marché des microprocesseurs. En effet, sur ce marché – indispensable au fonctionnement de nos ordinateurs – Intel détiendrait plus de 70 % de parts de marché contre son principal concurrent AMD qui en aurait 22 %.

L’affaire remonte à plusieurs années quand AMD a déposé une plainte contre son concurrent, l’accusant de recourir à des pratiques jugées anticoncurrentielles comme d’offrir des rabais et ristournes à ses clients en échange de contrats d’exclusivité. Ces pratiques normalement acceptées dans le jeu de la concurrence ne le sont paradoxalement plus dès lors qu’une entreprise est considérée comme dominante. En effet, on craint qu’avec de telles pratiques l’entreprise parvienne à éliminer son concurrent et devienne seule sur le marché et fasse sa loi!

Soulignons tout d’abord, qu’en dépit de ces pratiques, Intel n’a toujours pas réussi à éliminer son concurrent! Quand bien même réussirait-elle à l’éliminer, faudrait-il le craindre? Certainement pas, car seule une vision caricaturale de la concurrence et du marché en général peut faire craindre qu’une entreprise dominante sur un marché cesse d’innover et exploite en toute tranquillité les consommateurs.

Le marché des microprocesseurs est justement le parfait exemple de l’inexactitude d’une telle représentation dans la mesure où il est considéré comme l’un des plus dynamiques de l’économie. Il est marqué depuis plusieurs décennies par des innovations fulgurantes et des baisses de prix tout aussi impressionnantes.

Ainsi, selon les statistiques rapportées par le Bureau of Labor qui visent à refléter une combinaison entre réductions de prix et améliorations des produits, les prix des microprocesseurs ont surperformé chacune des 1200 catégories de produits suivis par le Bureau. Les prix des microprocesseurs ont en effet diminué entre 2000 et 2006 de 48,9 % par an, dépassant ainsi la baisse du prix des ordinateurs personnels (25,6 %), des dispositifs de stockage (23,1 %), et celui des logiciels (0,8 %).

Une entreprise dominante doit donc innover si elle veut garder ses parts de marché face à ses concurrents! C’est bien ce qui semble se produire sur ce marché des microprocesseurs où justement la taille est un élément de poids pour réaliser des économies d’échelle et ainsi dégager les ressources nécessaires à ces innovations en matière de vitesse comme de consommation d’énergie dont profitent les consommateurs.

Ce constat ne devrait pas nous étonner. Sauf qu’on nous enseigne au berceau qu’un marché ne fonctionne correctement que si de nombreuses entreprises opèrent sur celui-ci. Autrement dit, si dans votre quartier, il y a au moins quatre boulangeries tout va bien. Si au contraire, il n’y en a qu’une ou deux, vous êtes pris au piège de celui qui vous fournit votre baguette fraîche le matin. De même sur le marché des microprocesseurs!

Autrement dit, si votre boulanger a 80% de parts de marché, il est dangereux et il doit être contrôlé. S’il n’en détient que la moitié, tout va bien. N’est-il pourtant pas normal que votre boulanger détienne 80% du marché si ses offres sont les plus intéressantes, ses produits les plus frais et que tout le monde préfère y acheter son pain? La réponse semble évidente.

Ainsi, l’analyse en termes de parts de marché introduit la confusion. Elle est statique et ne tient pas compte du fait que même une entreprise dominante sur sa niche de marché subit une pression concurrentielle forte.

En effet, la position dominante d’un boulanger ou d’un Intel peut être remise en question du jour au lendemain si le fabricant crée par des comportements trop gourmands des opportunités que d’autres voudront saisir. À la fin de 2006, AMD aurait ainsi doublé ses parts de marché sur le microprocesseur X86 par rapport à 2002 en dépit de la domination de son concurrent. Cette dernière n’a ainsi pas empêché AMD de saisir des opportunités de business dont Intel n’avait pas su lui-même profiter.

La décision de la DG concurrence est donc pour le moins inappropriée. Contrairement aux objectifs supposés, elle n’est pas favorable au consommateur. Bien au contraire. Elle lui fait payer ses préférences pour AMD plutôt qu’Intel alors que le verdict du marché est pourtant clair. L’autorité européenne se fait ainsi le défenseur d’une entreprise qui si elle n’est pas totalement en panne d’innovation, n’hésite pas à utiliser le pouvoir politique pour faire obstacle à son rival.

Le marché des microprocesseurs se distingue par son très grand niveau d’innovation et il ne faut qu’un pas pour envisager que c’est peut-être parce qu’il est aujourd’hui dominé par un acteur, Intel, qui ne cesse d’innover. Croire par conséquent que nous sommes protégés par un super-gendarme européen est une erreur qui tourne au cauchemar quand son verdict tombe!


Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari

Cécile Philippe

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