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Restreindre la liberté d’installation des infirmiers est une impasse

Article publié dans Les Échos le 15 septembre 2008.

Dans un accord, signé le jeudi 4 septembre dernier, la Sécurité sociale a obtenu la restriction de la liberté d’installation des infirmiers libéraux en contrepartie d’une augmentation, entre autres, de leurs honoraires de plus de 5 % à partir du 15 avril 2009. Si de telles restrictions sont généralisées, la médecine libérale en France sera considérablement handicapée.

Dans un accord, signé le jeudi 4 septembre dernier, la Sécurité sociale a obtenu la restriction de la liberté d’installation des infirmiers libéraux en contrepartie d’une augmentation, entre autres, de leurs honoraires de plus de 5 % à partir du 15 avril 2009. Certes, l’accord contient des restrictions n’affectant pour l’instant que certaines zones, notamment dans le sud de la France, qui sont jugées « surdotées » et dont les effectifs seront gelés. Mais si de telles restrictions sont généralisées, la médecine libérale en France sera considérablement handicapée aux dépens non seulement des futurs professionnels mais aussi des patients français.

L’argument avancé pour remettre en question la liberté d’installation est invariablement le même. Les professionnels libéraux, les infirmiers ou les médecins, seraient inégalement répartis sur le territoire français. Restreindre leur liberté d’installation ignore cependant les causes de telles disparités. Sans les éliminer, une telle politique rajoutera ses propres effets pervers.

Les disparités actuelles sont d’abord le résultat des atteintes à une autre liberté, celle des tarifs pratiqués par les professionnels. Quand ces disparités sont sans raison valable – après tout on dispense plus de soins à certains endroits qu’à d’autres car la population y est relativement plus âgée ! –, la flexibilité des tarifs aurait justement permis de rééquilibrer la répartition des ressources médicales.

Des tarifs plus élevés ici que là permettent non seulement de tenir compte d’innombrables facteurs locaux, non monétaires mais importants pour les professionnels, tels le nombre de kilomètres à parcourir pour soigner les patients, la géographie de la région (montagneuse ou pas), les opportunités pour les conjoints d’y trouver un emploi, etc. De tels tarifs auraient également attiré des ressources supplémentaires dans les endroits réellement sous-dotés. Il est d’ailleurs paradoxal qu’après avoir supprimé cette flexibilité des tarifs, la Sécurité sociale en situation de monopole essaie de s’y substituer, sans succès, en accordant maintenant toutes sortes d’aides et d’exonérations aux nouveaux installés. Mais restreindre ou supprimer la liberté d’installation ne peut remplacer le manque de flexibilité dans ce contexte !

La suppression de la liberté d’installation ne permet pas en soi d’atteindre le but affiché, même si à court terme certains professionnels n’ayant plus le choix peuvent s’installer dans des zones sous-dotées. Mais des problèmes de répartition géographique continuent généralement à persister, comme le note un document récent du Sénat portant sur l’expérience de plusieurs pays pratiquant des restrictions à l’installation des médecins.

De même, les ressources hospitalières en France, dont l’installation ne bénéficie pourtant pas d’une telle liberté, sont elles aussi inégalement réparties en termes d’hôpitaux, de nombre de médecins, de nombre de lits et d’équipement médical. Si les restrictions n’ont pas apporté de résultats dans leur cas, n’est-il pas illusoire de penser qu’elles y parviendront dans celui de la médecine libérale ? S’acharner dans cette voie sonnera la fin du secteur libéral dans le système de santé français.

Enfin, ceux qui sont les plus concernés par les restrictions à la liberté d’installation sont ceux qui n’ont pas officiellement mot au chapitre. Il s’agit, d’une part, des futurs professionnels dont l’installation sera de facto décidée par les pouvoirs publics. La gestion du dispositif s’annonce complexe, mais s’ils veulent exercer dans une région « gelée », ils devront probablement racheter la patientèle d’un collègue qui la quitte ou qui part à la retraite. Il s’agit d’une nouvelle barrière à l’entrée pour exercer leur profession et d’un privilège pour les praticiens en place de pouvoir monnayer ce droit de s’installer.

D’autre part, ce sont les patients qui devront se contenter des prestataires déjà établis dans leur bassin de vie. La suppression de la liberté d’installation élimine l’une des principales sources d’émulation entre professionnels dont ils bénéficient. Devant gagner et garder leur patientèle, les professionnels de santé ne craindront plus l’arrivée de nouveaux prestataires et se verraient confier des malades captifs. Difficile de parler d’une liberté de choix pour ces derniers dans une telle situation !

Pis : on risque de créer une pénurie. Dans les zones gelées d’abord, où les effectifs ne pourront augmenter pour faire face à une augmentation de la demande. Pénurie générale ensuite, car diminuer les perspectives de pouvoir exercer dans la région et dans les conditions de travail de son choix réduira les incitations des étudiants à devenir infirmier ou médecin libéral au profit d’autres spécialités. Alors que le vieillissement de la population et le développement des soins à domicile (virage ambulatoire) laissent pressentir une demande accrue à l’avenir, la politique actuelle aura au contraire découragé l’offre de soins.

La liberté d’installation est indissociable de l’exercice d’une authentique médecine libérale. Bien développée, celle-ci fait traditionnellement partie des avantages du système de santé français comparativement à ceux, complètement nationalisés, du Royaume-Uni ou du Canada. Elle permet une plus grande flexibilité de l’offre de soins et une concurrence entre les professionnels de santé, laissant in fine le choix au patient. Contrairement à la situation dans ces pays-là, elle est l’un des facteurs qui ont garanti aux malades français d’être soignés, généralement sans files d’attente. Avec un secteur libéral handicapé où la liberté d’installation ne jouera plus son rôle, il faudra se préparer à leur faire face !

Valentin Petkantchin, directeur de la recherche, Institut économique Molinari

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