Dans les médias

Faut-il imposer la vente d’ordinateurs sans logiciels en France ?

Deux versions différentes de cet article ont été publiées dans L’Écho (Belgique), le 24 juillet 2008, et dans l’Agefi (Suisse), le 19 août 2008.

Les ordinateurs sont généralement proposés au grand public munis d’un système d’exploitation et de certains logiciels préinstallés indispensables à leur utilisation. Luc Chatel souhaite cependant mettre en place un dispositif obligatoire imposant leur vente séparée. S’engager dans cette voie sera une source d’incertitude et de gaspillages.

Les ordinateurs sont généralement proposés au grand public munis, dans une « vente liée », d’un système d’exploitation et de certains logiciels préinstallés indispensables à leur utilisation. Luc Chatel souhaite cependant mettre en place un dispositif obligatoire imposant leur vente séparée. À terme, il devrait permettre aux consommateurs d’acheter un ordinateur « nu » (sans logiciels) et de se faire rembourser le prix, par exemple, du système d’exploitation. N’est-il pas tentant de vouloir offrir le « droit » d’acheter des PC supposément moins chers, sans devoir payer le coût de Windows ?

En dépit des apparences et bien qu’un tel « droit » puisse profiter à certains « mordus » d’informatique, s’engager dans cette voie de ventes forcées sera une source d’incertitude et de gaspillages. Cela se fera inévitablement sur le dos de la grande majorité des consommateurs français.

Premièrement, il est inexact de prétendre comme le font certains groupes de pression dans ce dossier qu’il est impossible d’acheter un ordinateur sans acheter en même temps les logiciels préinstallés. Les utilisateurs confirmés, capables d’utiliser des systèmes d’exploitation différents et de les installer par leurs propres moyens, ont déjà en réalité la possibilité de se procurer des ordinateurs « nus », sans Windows intégré.

En effet, au-delà de la possibilité d’assembler leur propre ordinateur, ils peuvent confier cette tâche à des professionnels et l’équiper ensuite du système d’exploitation et des logiciels désirés. Des entreprises sont déjà spécialisées dans cette niche bien spécifique pour y satisfaire la demande existante d’ordinateurs sans logiciels. Si jamais cette demande se faisait aussi réellement sentir auprès du grand public, les fabricants et les distributeurs eux-mêmes n’hésiteraient pas à la satisfaire, sans l’intervention du gouvernement, afin de gagner des parts de marché. Inutile donc de leur forcer la main.

Deuxièmement, il faudrait se rappeler l’échec du lancement du Windows N, « sans Media Player », dont la commercialisation avait été imposée par la Commission européenne en 2005. Tout comme Luc Chatel, Bruxelles avait voulu à l’époque remettre en cause leur « vente liée » dans le but de favoriser les consommateurs.

Mais le résultat a été à l’opposé de ces bonnes intentions. Des ressources pour financer cet échec et proposer des offres que les consommateurs ne voulaient pas ont été gaspillées au passage, au lieu d’innover davantage, de lancer des nouveaux produits plus rapidement et de mieux satisfaire leurs besoins. Le gouvernement français veut-il répéter la même erreur ?

Enfin, toute réglementation contre les « ventes liées » présente un problème de fond. De telles interventions, qu’elles soient européennes ou françaises, visent en réalité à substituer les pouvoirs publics aux acteurs sur le marché pour décider ce qui doit y être commercialisé et la façon de le faire. Mais elles ignorent la raison économique des « ventes liées » et de l’absence de ventes séparées de certains produits sur le marché.

Faut-il rappeler que quand un fabricant commercialise un produit, cela entraîne des coûts en termes de coordination, de publicité, d’espace de stockage et de vente, de main-d’oeuvre, de conditions de garantie et de remboursement du produit, etc. ? Le fait que toutes les offres possibles et imaginables ne soient pas disponibles sur le marché ne signifie pas que celui-ci est défaillant. C’est précisément parce que la demande prête à payer tous ces coûts est jugée insuffisante dans certains cas que les fabricants et les distributeurs ne se bousculent pas pour la satisfaire. Ce n’est pas parce que des bricoleurs pourraient trouver difficile d’acheter une nouvelle Renault sans moteur ou sans freins, qu’il faut légiférer !

Pourquoi ainsi par exemple engager tout un ensemble de frais pour mettre sur le marché des ordinateurs « nus », si le consommateur visé n’en a que faire ? Si de tels ordinateurs peuvent être disponibles auprès d’entreprises spécialisées pour les connaisseurs en informatique, il semble en revanche économiquement injustifié de les proposer au grand public, et encore moins de forcer tous les magasins en France de les vendre.

Vouloir imposer par la loi des offres commerciales non rentables, comme se prépare à le faire Luc Chatel dans le domaine informatique, aboutit à augmenter l’incertitude du modèle économique des fabricants et des distributeurs. Cela se répercutera inévitablement sur les coûts des produits déjà commercialisés – en l’occurrence les ordinateurs avec Windows intégré et munis des logiciels nécessaires à leur utilisation – que les consommateurs devront in fine payer plus cher d’une manière ou d’une autre. S’il avait réellement en vue les intérêts de ces derniers, le gouvernement français devrait laisser le marché décider ce qui doit y être commercialisé ou pas, et s’abstenir d’intervenir !

Valentin Petkantchin, directeur de la recherche, Institut économique Molinari

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