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Nourrir la planète, aujourd’hui encore

Norman Borlaug, le « Père de la révolution verte », ne voit aucun moyen de nourrir la population mondiale sans avoir recours à des céréales génétiquement modifiées, surtout si l’on souhaite développer les biocarburants de manière croissante.

Cet enfant de la campagne de l’Iowa, diplômé en agriculture à l’Université du Minnesota, a porté la maxime de Thomas Edison a son plus haut point. « Une invention, faisait remarquer Edison, c’est 1 % d’inspiration, et 99 % de transpiration ». Dr. Borlaug a passé la majeure partie de ces 99 % dans les plaines étouffantes d’Afrique, d’Inde, du Mexique, ou du Pakistan.

À 94 ans, et bien qu’atteint d’un cancer, le « Père de la révolution verte » est toujours « débordant d’énergie », comme l’explique sa fille Jeanie. Il travaille comme consultant, assiste parfois à des congrès, et accepte gentiment de se laisser interviewer par ma fille dans le cadre de l’un de ses devoirs scolaires.

Il y a de nombreuses années, quand les néo-malthusiens prédisaient des famines massives, Borlaug a utilisé une bourse de la Fondation Rockefeller pour mettre au jour des gènes récessifs jusqu’alors inconnus, et pour croiser entre elles différentes variétés de blé, avec pour objectif de créer de nouvelles espèces naines capables de résister à certains parasites. Les plantes plus petites étaient aussi plus robustes, utilisaient moins d’énergie pour faire croître une tige et des feuilles, et avaient dès lors de meilleurs rendements.

Il a aussi enseigné les méthodes de culture modernes aux agriculteurs du Tiers Monde, persuadant par ailleurs les gouvernements de lever le contrôle des prix et d’autoriser l’usage d’engrais chimiques. Ce faisant, il leur a permis de réaliser des récoltes jusqu’alors sans précédent. Le Mexique est devenu autosuffisant en blé à partir de 1960, l’Inde et le Pakistan ont fait de même peu après. Borlaug a ensuite aidé la Chine, l’Indonésie, les Philippines et d’autres pays à obtenir de grands succès dans la culture du blé, du maïs ou du riz.

Quand il a reçu le Prix Nobel de la Paix en 1970, le comité le lui décernant déclara que ses travaux avaient permis de sauver environ un milliard de vies humaines. Borlaug remarque simplement qu’« il n’est pas possible de construire un monde pacifique avec des estomacs vides et de la misère humaine ». Il a par la suite remporté la Médaille Présidentielle de la Liberté et la Médaille d’Or du Congrès américain.

En 1985, il a commencé à travailler avec l’ancien président Jimmy Carter pour tenter d’exporter la Révolution Verte à l’Afrique sub-saharienne. Il insista alors sur la nécessité d’utiliser des méthodes d’agriculture intensive moderne et des semences OGM pour réduire la destruction et la combustion des environnements sauvages quand le sol manque de nutriments.

Malheureusement, leurs progrès pourraient bien être stoppés par Kofi Annan, l’ancien Secrétaire Général des Nations Unies, et par son Alliance pour une Révolution Verte en Afrique, dont le nom est trompeur. Annan explique que les récoltes OGM sont dangereuses, mal connues, et pourraient asservir de pauvres agriculteurs à des multinationales qui les forceraient à acheter des graines chères. Il entend s’attaquer à la pauvreté et à la malnutrition de l’Afrique avec des graines et des méthodes « traditionnelles ».

Borlaug craint que cela ne se transforme en un échec dramatique. Comme il l’a affirmé en 2005 lors d’une conférence sur les biotechnologies parrainée par le Congrès pour l’Égalité Raciale aux Nations Unies, il ne voit aucun moyen de nourrir la population mondiale sans avoir recours à des céréales génétiquement modifiées, surtout si l’on souhaite développer les biocarburants de manière croissante.

Il n’apprécie guère « les utopistes bien nourris qui vivent dans les beaux quartiers et viennent dans le Tiers Monde pour y causer de graves dommages » en effrayant les populations et en bloquant l’usage des biotechnologies. Ces militants particulièrement durs ont ainsi persuadé la Zambie de laisser sa population mourir de faim plutôt que de leur permettre de manger du maïs OGM donné par les États-Unis. Ils s’opposent également aux insecticides pour combattre la malaria, aux énergies fossiles, aux barrages hydroélectriques, et à l’énergie nucléaire pour produire une énergie abondante, fiable et peu chère dans les pays pauvres.

« Notre planète compte 6,5 milliards d’habitants, explique Borlaug. Je vous en prie, utilisez du fumier. Vous ne pouvez pas rester assis à ne rien faire. Mais si l’on utilise que des engrais organiques et des méthodes naturelles sur les terres arables existantes, nous ne pouvons nourrir que 4 milliards de personnes. J’ai du mal à imaginer 2,5 milliards de personnes se portant bénévoles pour disparaître. »

Produire 7 milliards de gallons d’éthanol en 2007 a nécessité une croissance de la culture du maïs sur une surface équivalente à celle de l’Indiana, en plus de grandes quantités d’eau, d’insecticide, d’engrais et de pétrole. C’est la raison principale pour laquelle les coûts du Programme Alimentaire Mondial ont augmenté de 40 % depuis juin 2007, forçant le PAM à rationner l’aide alimentaire, et plongeant dans la faim des millions de personnes. Cette situation est insoutenable, tant au point de vue moral, économique, qu’écologique.

Les semences OGM ont des rendements plus élevés, permettent une meilleure nutrition, sont plus résistantes aux insectes, aux parasites et aux maladies. Enfin, elles nécessitent moins d’eau et d’insecticides. De nouvelles variétés sont développées, qui croissent mieux dans des conditions de sécheresse ou dans des milieux très humides, et qui pourraient aider à fournir des vaccins et des éléments nutritifs antidiarrhéiques. Les recherches en cours visent à s’assurer que les gènes qui ont à un moment donné protégé les céréales, seront remplacés par de nouveaux quand les agents pathogènes auront muté.

Les cultures OGM sont plus rigoureusement réglementées et testées que n’importe quelles autres, bien que ceci ne soit pas, selon l’avis de nombreux scientifiques, nécessaire. Les Américains ont déjà mangé plus d’un trillion de plats contenant des ingrédients OGM, sans que le moindre dommage n’ait été noté sur la santé humaine ou sur l’environnement, remarque Henry Miller, l’ancien directeur de la section des biotechnologies à la Food and Drug Administration. Dans le même temps, les seuls épinards naturels ont rendu malade et tué plusieurs personnes en 2007.

Les biotechnologies libèrent les agriculteurs les plus pauvres des chaînes d’une nature potentiellement destructrice. Ils paient les semences plus cher, mais ils utilisent moins d’eau et d’insecticides, obtiennent de meilleurs rendements et gagnent plus d’argent. Les paysans d’Afrique du Sud qui sont passés aux plants OGM peuvent en témoigner.

Elizabeth Ajele: « Les anciens plants sont détruits par les insectes, ce qui n’est pas le cas des nouveaux plants OGM. Avec les profits que je réalise en cultivant le maïs Bt, je peux faire pousser des oignons, des épinards et des tomates. En les vendant, j’obtiens des recettes qui me permettent d’acheter des engrais. Par le passé, nous luttions pour ne pas avoir faim. Aujourd’hui, le futur ne nous fait plus peur. Si quelqu’un venait pour me dire que je dois cesser d’utiliser les nouvelles variétés de maïs, j’en pleurerais. »

Richard Sithole: « Avec l’ancienne variété de maïs, j’obtiens 100 sacs de céréales avec mes 15 hectares. Avec le maïs Bt, j’en obtiens 1000. »

Thandi Myeni: « Avoir du coton Bt signifie que je ne pulvérise mes champs avec des insecticides que deux fois, au lieu de six. À la fin de la journée, je sais que mes plants ne vont pas être détruits, que j’aurai une récolte et un salaire. »

Bethuel Gumede: « En plantant du coton Bt sur mes 6 hectares, j’ai pu construire une maison et y adjoindre un panneau solaire. J’ai aussi acheté une télévision et un réfrigérateur. Ma femme peut acheter de la nourriture saine et nous pouvons nous permettre d’envoyer nos enfants à l’école. »

Les agriculteurs au Brésil, en Chine, en Inde, aux Philippines et dans d’autres pays racontent des histoires similaires.

Du fait de ses réalisations, Norman Borlaug est connu dans de nombreuses régions d’Afrique, bien qu’il soit ignoré aux États-Unis. Il faut dire qu’il a accompli une large part de son travail hors de son pays. Mais cela reflète aussi le fait que son soutien aux engrais chimiques et aux biotechnologies l’ont mis en porte-à-faux avec des environnementalistes et des journalistes qui ne partagent pas ses vues sur ces questions.

Le récit fascinant et exaltant que fait Leon Hesser de la vie et des succès du Dr. Borlaug pourra peut-être finir par lui apporter la renommée qu’il mérite. « L’homme qui a nourri le monde » fait partie de ces biographies que j’aime beaucoup : elle montre qu’une seule personne peut changer le monde. Aujourd’hui publié en format de poche, ce livre va faire vivre l’héritage incroyable de Norman Borlaug, en même temps que vivront les millions de personnes qu’il a sauvées.

Paul Driessen est conseiller politique pour deux organisations majeures. Il est aussi l’auteur de Eco-impérialisme: Pouvoir vert, mort noire (non traduit).

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