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Le vrai scandale

La crise des « subprimes » ne cesse de se répandre et de s’amplifier. À l’heure actuelle, elle a déjà touché la majorité des banques et des entreprises d’investissement, non seulement aux États-Unis, mais aussi en Europe et ailleurs. Alors quel diagnostique et quels remèdes ?

Ce qui est peut-être le scandale le plus important de la crise des prêts hypothécaires, c’est qu’elle résulte directement d’un assouplissement délibéré des critères d’émission de crédit – réalisé au nom de la lutte contre les discriminations, en dépit d’avertissements soulignant que cela pourrait mener à de nombreux défauts de paiement.

Au coeur de la crise, se trouvent des crédits ayant été accordés virtuellement sans la moindre vérification habituelle lors de leur souscription – pas de vérification des revenus ni du patrimoine, peu de considération pour la capacité du souscripteur à rembourser, pas d’acomptes.

La majorité des personnes comprend instinctivement que de tels emprunts sont probablement douteux. Alors comment le secteur bancaire, très réglementé, en est arrivé à des choses aussi insensées ?

Face à la situation de désarroi actuel, vous pouvez penser que les banques ont avancé elles-mêmes l’idée d’assouplir les critères d’obtention de crédit, tandis que les autorités de régulation ont fermé les yeux. En réalité, ce furent les autorités de régulation qui ont allégé ces critères – sous le pression de certains groupes communautaires et des forces politiques « progressistes ».

Dans les années 1980, des groupes comme les militants de l’ACORN (Association of Community Organizations for Reform Now) ont commencé à lancer des accusations de discrimination, selon lesquelles les banques traiteraient différemment certaines minorités pour ce qui est des prêts hypothécaires. En 1989, des membres du Congrès ralliés à cette cause firent adopter le Home Mortgage Disclosure Act, amendé pour obliger les banques à collecter des données raciales concernant les emprunteurs potentiels. Celles-ci ont fait l’objet de nombreuses études qui semblaient valider l’accusation initiale.

En fait, même si les dossiers des candidats au prêt issus des minorités étaient rejetés plus fréquemment que les autres ; la raison principale n’en était pas une quelconque discrimination raciale, mais le fait que les personnes dans ces minorités ont en général des revenus plus modestes. Cependant, une étude de la Réserve Fédérale de Boston qui fait date a conclu en 1992 que les discriminations concernant les prêts hypothécaires étaient systématiques.

Cette étude comptait un nombre incroyable d’erreurs. Avec un collègue, nous avons démontré par la suite que les données utilisées contenaient des milliers d’erreurs grossières, comme des prêts à des taux d’intérêts négatifs. Notre étude a montré qu’il n’y avait aucune preuve de discrimination.

Cependant, l’ordre du jour politique a primé – accompagné par les explications du Président de la Réserve Fédérale de Boston selon lesquelles aucune étude supplémentaire n’était nécessaire, et par les autorités de régulation bancaire qui soutenaient la mesure.

L’encre de cette étude sur les discriminations n’avait pas eu le temps de sécher que la Réserve Fédérale de Boston, s’exprimant au nom de la Réserve Fédérale tout entière, a produit un livre à destination des prêteurs hypothécaires, expliquant que « des discriminations peuvent être observées quand les critères de prêt incluent des données arbitraires ou démodées qui excluent de nombreux candidats au prêt urbains ou originaires des minorités ».

Ces critères « démodés » incluaient la valeur du bien hypothéqué par rapport au revenu, l’historique des crédits, l’épargne accumulée par le passé, ou le revenu. À la place, la Réserve Fédérale de Boston a décidé que la participation à un programme d’éducation sur la manière de contracter des prêts devait être considérée comme une preuve de la capacité à rembourser un crédit.

Tout cela vous paraît aberrant ? En effet. C’est critères « démodés » existaient pour limiter les défauts de paiement. Mais les autorités de régulation bancaire ont demandé de les assouplir, avec l’accord des hommes politiques et des personnes bien-pensantes. En 1995, un renforcement du Community Reinvestment Act (CRA) a imposé aux banques de trouver des moyens de fournir des prêts hypothécaires aux membres des communautés les plus pauvres. Cela a aussi permis aux membres de ces communautés d’intervenir lors de l’examen annuel des banques.

Les banques qui recevaient des critiques négatives ont été punies ; certaines ont vu leurs plans de fusion empêchés; d’autres ont eu à faire face à des problèmes légaux avec le Ministère de la Justice.

Les prêts accordés sur des critères allégés se sont donc développés, même si l’on observait des taux de défauts de paiement plus élevés que pour les prêts classiques. Sur Internet, vous pouvez toujours trouver des prêts CRA disponibles via ACORN avec « 100 % de financement … pas d’évaluation de vos crédits passés … pas de critères de revenu … même si vous ne le signalez pas sur votre déclaration d’impôts ». Mais les programmes d’éducation sur la manière d’utiliser le crédit sont requis, bien évidemment.

Ironie du sort, un rapport enthousiaste de la Fannie Mae Foundation a choisi de distinguer un cas de prêteur non-discriminant, qui travaillait avec les communautés et appliquait « les critères d’attribution de crédit les plus flexibles ». L’engagement de ce prêteur envers les bas revenus était de 1 milliard de dollars en 1992, et avait crû à 80 milliards en 1999 et à 600 milliards en 2003.

Quel était ce créancier particulièrement vertueux ? Countrywide, le plus grand émetteur de crédits hypothécaires aux Etats-Unis, et récemment à la une de l’actualité parce qu’il avançait tout droit vers la faillite. Dans un récent article de journal exaltant les mérites des critères allégés d’attribution de crédit, le directeur général de Countrywide se vantait en expliquant que pour accepter les dossiers provenant des minorités qui auraient été rejetés, « les prêteurs ont dû assouplir un peu les règles ». Il ne se vante plus aujourd’hui.

Pendant des années, la hausse des prix de l’immobilier a masqué les problèmes de défauts de paiement car un refinancement rapide était possible pour les banques. Mais maintenant que les prix de l’immobilier ont cessé de croître, nous pouvons clairement réaliser les dommages causés par l’assouplissement des critères d’attribution de crédits.

Ces dommages étaient prévisibles : « Quand l’idéal réconfortant et flou des ‘critères flexibles d’attribution de crédit’ disparaîtra, nous découvrirons peut-être qu’il ne sont ni plus ni moins que des critères conduisant à de mauvais prêts. […] De telles politiques n’auront pas rendu service à leurs bénéficiaires supposés, si ceux-ci se trouvent dépossédés de leurs logements ». J’ai écrit cela avec Ted Day en 1998, dans un article académique.

Malheureusement, ces mises en garde n’ont servi à rien.

En ce moment, tout le monde plaide en faveur de critères plus stricts d’attribution de crédit. Que sont donc devenus tous les journaux, hommes politiques ou autorités de régulations qui réclamaient leur assouplissement ?

Comme vous pouvez vous y attendre, maintenant beaucoup s’auto-satisfont en blâmant ceux qui, comme Countrywide, ont fait ce qu’on leur a pourtant dit de faire.

Stan Liebowitz est professeur d’économie au sein de la Business School de l’Université du Texas, à Dallas.

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