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Verdict dans l’affaire Microsoft : mettre fin à une vision erronée de la concurrence !

Une version de cet article a été publiée dans Le Temps, le 14 septembre 2007.

Une décision du tribunal de première instance de la Cour européenne de justice aurait pu inciter la CE à tenir compte du fonctionnement réel de l’économie et à cesser de poursuivre bon nombre d’entreprises sur la base de conceptions erronées de la concurrence.

Lundi 17 septembre dernier, la Cour européenne de justice (CEJ) a confirmé la condamnation de la société Microsoft, intervenue en mars 2004, par les autorités antitrust de la Commission européenne. Celle-ci reproche à la société d’avoir intégré un lecteur multimédia dans son système d’exploitation Windows et ainsi d’abuser de sa position dominante sur ce marché des lecteurs. La condamnation de 2004 a consacré une vision caricaturale de la concurrence et il faut espérer, au nom des consommateurs, que la décision finale la renversera.

Les trois années qui nous séparent aujourd’hui de la condamnation initiale par la Commission ont été marquées par un véritable harcèlement de la part de celle-ci à l’égard de la société d’informatique. En effet, en dehors de l’amende record de 497 millions d’euros et de l’obligation de commercialiser une version de son système d’exploitation sans lecteur multimédia, la Commission européenne a menacé à plusieurs reprises Microsoft de sanctions supplémentaires au prétexte qu’elle ne se pliait pas à l’exigence de fournir les informations nécessaires sur l’interopérabilité de Windows avec des logiciels d’éditeurs concurrents.

Le zèle de la Commission à faire appliquer les sanctions est assimilable à un véritable harcèlement en cela qu’il ne sert aucunement l’intérêt de la majorité des consommateurs, le jugement des autorités antitrust reposant sur une conception erronée de la concurrence. C’est donc avec dépit que l’on a pu constater l’immense gâchis de ressources: Microsoft emploie près de 300 personnes qui ne travaillent que pour fournir les informations exigées par la Commission. La concurrence est dynamique et ne correspond pas en cela à la conception qu’en ont les autorités antitrust. Pour ces dernières, et conformément au modèle de concurrence pure et parfaite, la concurrence n’existe que si de nombreux producteurs agissent sur un marché bien défini et s’ils sont incapables d’influencer le prix, aussi bien à la hausse qu’à la baisse. Dans ces conditions, la concurrence fonctionne correctement et les consommateurs en tirent le bénéfice maximum.

C’est dans cette vision des choses – où l’innovation et la prise de risque par les entrepreneurs pour lancer de meilleurs produits et gagner des nouveaux clients sont absentes – que la notion de part de marché prend une importance cruciale puisque c’est grâce à cette mesure que les autorités en charge de veiller à la bonne concurrence vont pouvoir identifier si un acteur est trop « puissant » sur un marché quelconque, à un moment donné, et de l’accuser le cas échéant d’abuser de sa position jugée dominante.

Le régulateur aura alors pour mission de diminuer la « puissance » de ces acteurs. Contrairement au modèle statique invoqué, force est de constater que la concurrence s’accommode mal de la notion abstraite et arbitraire de marché du modèle de concurrence pure et parfaite et qu’elle ne se mesure pas par le nombre de parts de marché.

Pour faire appliquer l’idée qu’une entreprise abuse de sa position dominante, les régulateurs doivent en plus être en mesure de définir précisément le marché sur lequel l’entreprise en question exerce son activité. Or, rien n’est plus difficile à faire que cela, dans la mesure où il faudrait pouvoir connaître ce que pensent les gens. Par exemple, il faudrait savoir s’ils achèteraient indifféremment, ou pas, une Renault Clio ou une Peugeot 206. Alors que pour certains les deux voitures sont parfaitement substituables, pour d’autres elles ne le sont pas et il n’y a pas de moyen objectif de le savoir. Ceci étant vrai pour tous les types de biens, la subdivision du marché que les autorités antitrust opèrent est nécessairement arbitraire.

Il convient cependant d’aller plus loin. En effet, même si l’on accepte comme valable cette subdivision du marché, cela n’implique pas pour autant que l’on puisse déduire une absence de concurrence sur un marché de la présence de peu ou même d’un seul acteur sur le marché.

Ce qui est toujours reproché in fine à un acteur seul sur un marché, c’est de pouvoir réduire la production et ainsi augmenter à sa guise les prix et donc de nuire aux consommateurs. Cela ignore le fait que si le producteur agit de la sorte – et en l’absence de barrières légales à l’entrée –, il crée autant d’opportunités de profit pour d’autres producteurs qui auront alors intérêt à entrer sur le marché et contrecarrer ainsi les plans du producteur unique.

Plus encore, il est parfois normal d’avoir un seul acteur dans un secteur capable de répondre au mieux à toute la demande. Pourquoi? Parce qu’il faut bien réaliser que, pour que plusieurs acteurs soient présents sur une niche, des ressources rares (main-d’oeuvre, machines, équipements, matières premières, etc.) doivent être prises ailleurs, là où elles contribuent à augmenter la production et baisser les prix. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que pour les consommateurs, il peut être plus urgent de produire ces autres biens que de maintenir des prix bas dans la niche du producteur unique. Si ce dernier se maintient seul sur un marché sans l’aide de réglementations spécifiques à son égard, c’est simplement que les ressources nécessaires pour ajouter un producteur sur ce marché sont plus utiles ailleurs.

C’est ainsi que fonctionne la concurrence et c’est pour cette raison que les marchés peuvent avoir des configurations très différentes – avec un nombre plus ou moins important de producteurs, voire un seul acteur – et qu’ils ne sauraient se conformer à la vision étriquée que veut lui calquer le modèle cher aux autorités antitrust. La décision du tribunal de première instance de la Cour européenne de justice était donc importante car elle aurait pu inciter la Commission à tenir compte du fonctionnement réel de l’économie et à cesser de poursuivre bon nombre d’entreprises sur la base de conceptions erronées de la concurrence.

Cécile Philippe, directeur général, Institut économique Molinari

Cécile Philippe

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