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Bruxelles s’attaque à la concurrence fiscale suisse

Article publié par Le Temps le 13 février 2007.

La Commission européenne semble mener une réelle croisade contre les régimes fiscaux allégés et la concurrence fiscale, non seulement au sein de l’UE, mais même au-delà de ses frontières. Après avoir sanctionné le Luxembourg, le 19 juillet dernier, pour son régime fiscal à l’égard des holdings, la Commission européenne s’apprête à désavouer la concurrence fiscale suisse.

La Commission européenne semble mener une réelle croisade contre les régimes fiscaux allégés et la concurrence fiscale, non seulement au sein de l’UE, mais même au-delà de ses frontières. Après avoir sanctionné le Luxembourg, le 19 juillet dernier, pour son régime fiscal à l’égard des holdings, la Commission européenne s’apprête à désavouer la concurrence fiscale suisse. Elle considère cette fois que les régimes de faible imposition des sociétés étrangères dans certains cantons, comme Zoug, Schwyz et Obwald, seraient une « aide d’État ». De surcroît, selon les bureaucrates européens, de telles aides violeraient supposément l’Accord de libre-échange de 1972 entre Bruxelles et la Suisse.

Mais cette idée qu’un régime fiscal allégé serait une menace pour la libre concurrence ou pour le libre-échange est inacceptable et Bruxelles devrait au contraire laisser jouer la concurrence fiscale en Europe. Il est encore plus absurde de vouloir s’immiscer dans la politique fiscale des cantons suisses. Une telle volonté d’imposer l’harmonisation fiscale non seulement met la pression sur les cantons suisses, mais sera aussi préjudiciable pour les contribuables partout en Europe.

Ce que l’on reproche à ces systèmes de faible imposition, c’est d’exonérer les entreprises d’impôt sur le revenu, ou de pratiquer des taux d’imposition trop bas, par rapport à ceux d’autres pays membres de l’UE. Par exemple, une étude du cabinet KPMG précise que la fiscalité sur les bénéfices en Suisse est de l’ordre de 21% en moyenne, mais dans certains cantons comme Obwald ou Zoug, elle serait respectivement de 13,1% et de 16,4%. Bien loin des taux français (33,3%) ou allemand (38,3%).

De tels régimes inciteraient les entreprises (mais aussi les particuliers, comme l’a illustré l’affaire Johnny Hallyday) – à venir s’y installer aux dépens des États qui imposent plus lourdement les sociétés sur leur territoire. Bruxelles juge qu’il s’agirait là d’« aides d’État », portant supposément atteinte à la libre concurrence et au libre-échange.

Bien qu’un certain nombre d’entreprises allemandes, françaises – mais aussi britanniques ou américaines – viennent en effet installer leur siège en Suisse, s’agit-il pour autant « d’aides d’État » ? Faut-il harmoniser la fiscalité au nom de la libre concurrence et du libre-échange, comme nous le suggère la Commission, et dont la décision contre le Luxembourg et la condamnation de la fiscalité suisse sont incontestablement des pas importants dans cette direction ? Rien n’est moins sûr.

Tout d’abord, la Commission a une conception bien étrange de la libre concurrence où l’absence de pression fiscale lourde est définie comme une « aide d’État ». Il est facile de comprendre que des subventions publiques aux entreprises – impliquant qu’on confisque des ressources à certains pour les donner à d’autres – doivent être considérées comme des aides contraires à la libre concurrence. Mais comment le fait de ne pas prélever d’impôt peut-il être considéré sur le même pied d’égalité ?

Avec un régime fiscal allégé, l’État laisse en réalité les ressources à ceux qui les ont créées, sans que cela ne représente une aide. Le fait que quelqu’un ne vous fasse pas de « croche-patte » signifie-t-il pour autant qu’il vous aide à marcher ? De la même façon, il est absurde de prétendre que si certaines entreprises ne paient pas d’impôt ou paient moins d’impôt qu’ailleurs, elles seraient « aidées » par l’État.

Et même si on considérait – en tordant le sens des mots – qu’il s’agirait effectivement d’aides, ces dernières seraient les seules « aides d’État » compatibles avec la libre concurrence et le libre-échange, car respectueuses des droits de propriété. En effet, les pouvoirs publics ne font tout simplement qu’autoriser ceux qui ont créé des richesses à les garder en tant que légitimes propriétaires. Cela reste valable même si cette création a lieu au-delà des frontières, comme dans le cas de la Suisse où le régime allégé est appliqué aux holdings ayant des activités en dehors du pays.

Ensuite, d’un point de vue économique, l’idée même d’un « impôt sur le revenu des entreprises » est une idée saugrenue. Les entreprises sont des entités juridiques qui représentent un « noeud » de contrats et il leur est impossible de subir effectivement le poids de l’impôt. Si l’impôt s’applique en théorie à l’entreprise, il est en réalité toujours payé par des individus, qu’ils soient actionnaires (par des dividendes amputés), consommateurs (par des prix plus élevés) ou même employés (par des rémunérations moins élevées que n’aurait été autrement le cas). L’impôt sur le revenu des entreprises pénalise en bout de ligne les processus de production de biens et de services et rend les entreprises moins compétitives. Vouloir abroger les régimes allégés concernant de tels impôts ne fait donc qu’aggraver la situation.

Enfin, dans la logique d’harmonisation poursuivie par la Commission, les bureaucrates européens seront inévitablement amenés à s’attaquer à d’autres régimes fiscaux avantageux pour les entreprises européennes. Par exemple, le taux est plus bas en Irlande qu’en Suisse, et en Estonie les bénéfices non distribués des sociétés – et pas seulement des holdings – ne sont tout simplement pas imposés ! Pour quand alors la condamnation du régime fiscal irlandais ou l’abrogation du régime estonien qui a contribué au dynamisme économique de ce pays de l’Est ?

La poursuite des efforts d’harmonisation de Bruxelles aura pour conséquence inévitable de créer une pression fiscale plus importante pour tout le monde. Mais au lieu de pénaliser les grands groupes qui peuvent toujours aller s’installer en dehors de l’UE, ou de la Suisse si elle était condamnée, elle sera surtout préjudiciable aux petites et moyennes entreprises qui n’auront pas les moyens d’échapper à la pression fiscale de leurs États.

Si la Commission voulait effectivement faire la promotion de la libre concurrence et du libre-échange, elle devrait au contraire proposer de généraliser à l’Europe toute entière le système de faible imposition luxembourgeois, irlandais, estonien ou suisse.

Ou à défaut, elle devrait tout simplement laisser jouer la concurrence fiscale en Europe, car celle-ci reste un moyen sans équivalent d’inciter les États à baisser la pression fiscale qui pèse sur les entreprises européennes et leur compétitivité. C’est un moyen aussi de favoriser la prospérité économique.

Valentin Petkantchin, Institut économique Molinari

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