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L'invitée. Les heures d'ouverture des magasins ont besoin d'un peu plus de souplesse!

L'invitée.

Au cours des années 1990, le Danemark, la Grèce, les Pays-Bas, l'Angleterre, l'Autriche et le Japon ont libéralisé les heures d'ouverture des magasins. Aujourd'hui, le débat anime la ville de Genève, la France et le Québec.

Alors que des commerces genevois souhaitent ouvrir deux dimanches durant la période de l'Avent, les fêtes de fin d'année relancent la controverse en France sur une réglementation vieille de plus d'un siècle. Au Canada, le débat porte sur l'interdiction d'avoir plus de quatre employés au-delà de 17 h le week-end.

Les pays francophones semblent donc faire figure d'exception dans un domaine où les déréglementations ont pris le pas. Si les résistances au changement sont fortes, il est important de rappeler que le choix des heures d'ouverture est avant tout favorable aux consommateurs.

L es arguments en faveur de la réglementation des heures d'ouverture émanent en général des syndicats et de fédérations professionnelles. Ainsi, la CGC du commerce condamne une société «poussant les salariés, dont beaucoup ne sont pas volontaires ou le sont par la force des choses (au vu de la précarité des emplois), à travailler un jour qui devrait être consacré aux activités culturelles ou familiales».

Charles Melcer, président de la Fédération nationale de l'habillement en France, défend quant à lui les intérêts du petit commerce, et affirme qu'«en cas d'ouverture le dimanche un transfert s'effectuerait en faveur des magasins ayant les moyens de payer doublement leurs salariés, c'est-à-dire le grand commerce.»

Pourtant, d'un point de vue économique, ces arguments ne tiennent pas. L'ouverture le dimanche ne force personne à travailler, sauf si par force on fait référence à celle qui nous oblige à nous vêtir, nous nourrir, à subvenir à nos besoins. La force dont on nous parle n'a rien à voir avec celle d'une réglementation incontournable, mais avec le fait qu'il reste nécessaire de produire pour consommer. C'est une loi économique incontournable à laquelle il est fort difficile d'échapper.

Au lieu d'être uniquement une contrainte, une plus longue plage d'heures ouvrées offre au contraire des opportunités aux travailleurs qui souhaitent arrondir leurs fins de mois (ces heures étant souvent mieux rémunérées). C'est d'ailleurs ce que montre une étude réalisée en 1993 sur 5000 travailleurs anglais dans le commerce de détail. Elle indiquait que la majorité d'entre eux ne voyait aucun inconvénient à travailler le dimanche.

O n reconnaît en général de grandes vertus à la concurrence (n'est-ce pas pour cette raison que des entreprises sont d'ailleurs condamnées pour pratiques anticoncurrentielles?) car elle incite les acteurs d'un marché – de crainte de se faire dépasser – à toujours mieux utiliser leurs ressources et à offrir des produits moins chers et de meilleure qualité. Ces vertus sont cependant souvent oubliées de ceux à qui la concurrence pourrait nuire et qui refusent de s'adapter. Rien de plus naturel que de vouloir se protéger. Mais il faut garder en tête que les entreprises sont là pour offrir des services aux consommateurs et pas l'inverse.

Et c'est là que réside le principal argument en faveur de la libéralisation des heures d'ouverture: l'intérêt que peuvent y trouver les consommateurs. Cet intérêt est confirmé par un sondage Ipsos (24/04/2006) indiquant que 74% des habitants de Paris et région parisienne sont en faveur de l'ouverture le dimanche. Des heures d'ouverture plus longues offrent aux individus plus de temps pour faire leur choix. Elles leur permettent d'éviter les heures d'affluence et donc d'apprécier davantage le temps qu'ils passent à faire leur shopping. L'expérience aux Pays-Bas suggère ainsi que les consommateurs prennent davantage leur temps s'ils font leurs courses le soir plutôt que dans la journée.

Cette flexibilité explique en partie pourquoi, avant la libéralisation des horaires, on pouvait observer en Autriche, par exemple, une augmentation du shopping transfrontalier vers des pays où la législation dans ce domaine était plus souple.

En empêchant les entreprises de choisir leurs horaires de la même façon qu'elles choisissent leur achalandage en fonction de ce qu'elles pensent être la demande des consommateurs, les pouvoirs publics nuisent à ces derniers. Ce manque de flexibilité est d'autant plus dommageable que la demande en ce sens a fortement évolué dans les années 1990. En effet, selon un document de travail de l'OCDE, la demande pour l'extension des heures d'ouverture «provient en partie d'une plus grande diversité des heures de travail dans l'économie en général, de même que d'une plus grande participation des femmes au marché du travail».

Les préférences des consommateurs peuvent aller dans le sens d'un allongement des heures d'ouverture des magasins dans un endroit donné sans pour autant que le besoin soit éprouvé ailleurs. A ce sujet, il est intéressant de noter que, dans les pays où la réglementation dans ce domaine est relativement libre, elle n'a pas nécessairement conduit les magasins à ouvrir plus longtemps. En Espagne, par exemple, alors que les restrictions restent assez faibles, les commerces de détail n'ouvrent en moyenne que 46 heures par semaine.

En effet, l'allongement des heures d'ouverture sur le marché est fonction de ce que les consommateurs sont prêts à payer (les prix peuvent augmenter du fait d'une masse salariale plus nombreuse) et donc de ce que les travailleurs demandent pour travailler davantage. Les entreprises calculeront si cela vaut le coup.

C'est en laissant aux différents acteurs du marché la possibilité d'adapter leur offre à la demande qu'on privilégie flexibilité et diversité. En Suède, on observe ainsi, quinze ans après la libéralisation, que l'offre en matière d'ouverture ne s'est pas uniformisée. Au contraire, si la plupart des grands magasins et des supermarchés sont ouverts le dimanche (80% d'entre eux), seuls la moitié des magasins de dépannage sont ouverts ce jour-là et 48% des magasins de meuble.

On peut donc s'attendre à une plus grande diversité des heures d'ouverture dans les pays francophones cités si les pouvoirs publics décident de privilégier le choix et les décisions libres des individus plutôt que la rigidité des intérêts catégoriels de certains.