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Protéger le consommateur malgré lui ?

Article publié par L’Écho le 31 mars 2006.

Les fonctionnaires de la Commission européenne ne chôment pas. Dernier projet en instance d’adoption : les fabricants de briquets auront bientôt l’obligation d’équiper leurs produits d’un dispositif de sécurité-enfants. Le commissaire européen chargé de santé et de la protection des consommateurs, Markos Kyprianou, est enthousiaste : « Cela représente un progrès considérable dans la protection des consommateurs contre les incendies provoqués par des enfants qui jouent avec des briquets, accidents responsables de décès, de blessures et de dégâts matériels ». En réalité, la standardisation obligatoire ne peut pas bénéficier aux consommateurs car elle est incompatible avec la diversité des situations et parce qu’elle défie leurs préférences.

Comment l’obligation de produire des briquets plus sûrs pourrait-elle aller à l’encontre du bien-être des consommateurs ? Après tout, on peut certainement présumer qu’aucun parent ne désire voir ses enfants mettre le feu à son appartement. Un dispositif de sécurité nécessitant deux pressions simultanées pour allumer le briquet serait donc le bienvenu. Cependant, la sécurité est une affaire plus complexe que ne le suggère la Commission. Il n’est pas du tout évident que l’utilisation d’un tel objet soit plus sûre, en général.

La Commission rapporte que 34 à 40 personnes mourraient chaque année dans les 25 pays de l’Union des suites d’incendies provoqués par de jeunes enfants jouant avec des briquets. Si des briquets équipés de sécurité-enfants peuvent réduire l’occurrence de tels accidents, ils peuvent tout aussi bien augmenter celle d’autres accidents. En voiture, le « dispositif de sécurité » d’un briquet pourrait bien tenter le conducteur de lâcher son volant pour allumer une cigarette, mais il n’y a évidemment pas de statistiques pour estimer le nombre de morts évités sur la route grâce à des briquets commodes à utiliser. De par son caractère uniforme, une réglementation ne peut tenir compte à l’avance de toutes les circonstances particulières qui rendent l’utilisation d’un objet sûre ou délicate.

Par ailleurs, la sécurité n’est pas la seule considération importante pour les consommateurs. Obtenir plus de sécurité nécessite souvent de se priver de certaines satisfactions. De toute évidence, si la vitesse était limitée à 20 km/h sur la route, le risque d’accidents graves serait limité. Pourtant, aucun conducteur ne soutient une telle mesure. Autrement dit, la plupart des gens considèrent que les gains attendus de déplacements plus rapides valent bien la peine de supporter les risques correspondants. Les forcer à faire autrement améliorerait sans doute leur sécurité sur la route mais n’améliorerait pas leur bien-être.

Revenons à nos briquets. Supposons que leurs producteurs se soient déjà organisés de manière à minimiser leurs coûts. Cela signifie que toute amélioration du produit en terme de sécurité doit utiliser des ressources additionnelles, c’est-à-dire exiger des coûts plus élevés. La question est : proposer des briquets plus sûrs rendrait-il service aux consommateurs ? La réponse est oui pour ceux qui valorisent cette amélioration, ceux qui sont prêts à la payer en achetant ces briquets un peu plus cher. Ne pas offrir de briquets sécurisés dans ces conditions revient à laisser passer une opportunité de profit. Offrir ces briquets aux consommateurs qui ne voient aucune valeur ajoutée dans le dispositif de sécurité revient à s’infliger des pertes.
Les entrepreneurs ne sont certainement pas dotés d’attributs divins leur permettant de répondre automatiquement aux diverses exigences des consommateurs, mais ils ont tout intérêt à s’en préoccuper et leurs profits ou pertes indiquent l’adéquation de leurs choix productifs aux priorités des consommateurs. Autrement dit, à défaut d’offrir une solution miracle, les perspectives de pertes et profits dans le marché libre servent de boussole pour harmoniser les intérêts des consommateurs et des producteurs.

La Commission européenne a choisi une autre voie : la standardisation obligatoire. Dans ces conditions, les consommateurs ne peuvent plus choisir entre différentes sortes de briquets. Ils n’ont plus moyen d’exprimer leurs préférences et les entrepreneurs ne peuvent plus y ajuster leur production. En jetant la boussole par-dessus bord, le régulateur sacrifie les intérêts des consommateurs au nom de leur protection.

Xavier Méra, Institut économique Molinari

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