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Réforme du financement de la protection sociale : la fuite en avant

Article publié exclusivement sur le site de l’Institut économique Molinari.

Le président de la République entend engager une profonde réforme du financement de la protection sociale. Jacques Chirac a affirmé lors de ses voeux aux « forces vives de la nation » qu’il convenait d’asseoir son financement sur la valeur ajoutée des entreprises plutôt que sur le travail.

Le président de la République entend engager une profonde réforme du financement de la protection sociale. Jacques Chirac a affirmé lors de ses voeux aux « forces vives de la nation » qu’il convenait d’asseoir son financement sur la valeur ajoutée des entreprises plutôt que sur le travail. En plus de lutter contre le chômage grâce à la baisse des cotisations patronales sur les salaires, l’élargissement de l’assiette des prélèvements à tous les revenus de la valeur ajoutée garantirait « un haut niveau de protection sociale ». Qu’on nous permette de douter qu’une telle réforme puisse pérenniser le « modèle social français ». Au mieux, les difficultés seront repoussées et réapparaîtront à terme de manière encore plus alarmante. C’est le choix politique de la fuite en avant.

Puisque M. Chirac se veut proche du monde rural, nous userons d’une analogie quelque peu champêtre pour appréhender la nature du système et l’erreur impliquée dans la proposition du chef de l’État. Depuis un célèbre article du biologiste Garett Hardin, on appelle «tragédie de la vaine pâture» ou «tragédie des prés communaux» l’explication de la surexploitation et de l’épuisement de certaines ressources naturelles. Il se trouve que cette analyse, traditionnelle en économie de l’environnement, s’applique aussi à la protection sociale et à son explosion programmée.

Remontons le temps et imaginons un pré dont l’accès est ouvert, à proximité d’un village médiéval. Les habitants y font paître leurs vaches. Aucun problème ne se pose tant que la ressource est plus abondante que les besoins. dès que la population des hommes et de leurs bêtes s’accroît, nous dit Hardin, des problèmes apparaissent. Si le pré demeure un bien à la disposition de tous, s’il «appartient à tout le monde», il va être surexploité jusqu’à épuisement de sa capacité à nourrir les vaches.

Comment en arrive-t-on là? Chaque éleveur tire un revenu de son activité, par exemple de la vente du lait. En ajoutant des vaches à son cheptel, il peut augmenter son revenu. D’un autre côté, l’ajout d’une bête diminue le rendement du sol, au détriment de la quantité de lait produite par vache. Chaque éleveur peut bien en être conscient sans pour autant avoir intérêt à réfréner son exploitation et à entretenir le pâturage. En effet, les conséquences de la dégradation du sol sont supportées par tous les éleveurs. L’ajout d’une bête a ainsi un impact négatif très faible pour son propriétaire, un impact largement contrebalancé par la vente additionnelle de lait qu’il pourra ainsi réaliser.

L’accès gratuit au pré signifie que chaque éleveur peut faire supporter les coûts de ses choix aux autres alors qu’il empoche seul les gains. Le pré devient surpeuplé de vaches. De plus, aucun éleveur n’a intérêt à l’entretenir puisqu’il doit supporter seul un investissement dont tous les autres pourront profiter à son détriment. L’issue ne fait pas de doute: c’est la ruine de tous.

Quel rapport y a-t-il entre cette «tragédie» et le financement de la protection sociale? En fait, les deux situations sont similaires. Les acteurs du système de protection sociale sont encouragés à se comporter comme les habitants du village. Du fait de la «propriété collective» du pré, chaque éleveur peut faire supporter aux autres les conséquences de ses choix. Du fait de la collectivisation du financement de la protection sociale, chaque participant est invité à profiter du système sans égard au coûts associés à ses choix, parce qu’il peut compter sur d’autres pour payer la facture. La facture gonfle et personne n’a intérêt à entretenir le fond commun en travaillant plus, puisque les bénéfices d’un tel investissement seront socialisés.

Nous avons ainsi affaire à une gigantesque «tragédie de la pâture commune». La pâture commune, c’est le fond formé par la mise en commun des revenus des producteurs, les cotisations et taxes l’alimentant. Les gens sont invités à le dépenser jusqu’à son épuisement. Plutôt que d’essayer de sortir d’un tel cercle vicieux, la proposition de M. Chirac revient à étendre les déprédations à de nouveaux prés, en augmentant l’assiette des prélèvements. Mais le processus doit continuer tant que les incitations sont les mêmes. L’effondrement est provisoirement repoussé. Il sera cependant encore plus brutal parce que la production anéantie sera plus importante. Face à une telle perspective, il est de plus en plus urgent d’envisager des solutions alternatives fondées sur la responsabilité individuelle.

Xavier Méra est chercheur associé à l’Institut Economique Molinari.

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